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Un modèle de christologie africaine: Jésus, Maître d'initiation

Un modèle de christologie africaine :

Jésus comme Maître d’initiation

 

Introduction (motivation)

 

L’année académique 2010 -2011 fut l’année de grâce où j’eus l’occasion d’étudier systématiquement la Christologie. Dans l’énoncé de la structure du cours, j’ai compris que nous aborderons la christologie africaine, ce qui fut un réel motif de joie et d’émulation pour moi. Mais quelle grande ne fut ma surprise quand en fin de compte je me suis aperçu que la christologie africaine ne tenait qu’en quelques lignes (27 exactement). La surprise laissa place à la déception quand mes recherches sur internet et à la bibliothèque ne révélèrent qu’une mince documentation  sur le sujet. Alors quand l’opportunité nous fut offerte par le professeur d’approfondir un aspect du cours à exposer à l’examen oral, j’ai spontanément opté pour l’analyse d’un modèle de christologie africaine.

  1. 1.     Bref aperçu sur l’initiation

Pour comprendre ce titre, il nous faut rappeler que la pratique de l’initiation, encore à la mode en Afrique subsaharienne, consiste à faire passer de l’enfance au rang d’adulte. Les postulants à l’initiation doivent se soumettre à de dures épreuves qui les font passer par une sorte de mort à la vie nouvelle. Tout le processus se déroule sous la direction d’un maître qui lui-même est passé par l’expérience d’initiation. Ce faisant il n’est seulement un maître mais aussi un grand frère.

  1. 2.     Eléments éclaireurs de ce modèle

2.1. La dialectique vie-mort-vie

  

D’après les récits évangéliques, Jésus est passé de la vie (incarnation-naissance) à la mort (passion et mort sur la croix), et de la mort à la vie (résurrection).  Ce passage de la vie à la mort et de la mort à la vie crée une dialectique très présente dans la conception des modèles christologiques africains.

Sous la direction du maître initiateur, les postulants à l’initiation « doivent se soumettre à de dures épreuves qui les font passer par une sorte de mort à la vie nouvelle, de façon que celle-ci soit une vraie résurrection à la vie. »[1] Le rôle de maître d’initiation revient à aider les jeunes candidats à mourir à la première vie (enfance) pour ressusciter à une nouvelle vie (âge adulte).

 

2.2. L’autorité de Jésus

  

Lorsque l’entourage de Jésus, et le plus souvent ses adversaires, évoque l’une des caractéristiques de sa personne et de son enseignement, il souligne son autorité : « il enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme leurs scribes » (Mt 7,29) ; « il commande avec autorité et puissance aux esprits impurs » (Lc 4,36). Jésus, même avant d’en donner la preuve par sa propre résurrection, déclare que « comme le Père ressuscite les morts et leur donne la vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il lui plaît (Jn 5, 19ss). Je quitte ma vie pour la reprendre, personne ne me la ravit. J'ai le pouvoir de la quitter et de la reprendre (Jn 10, 18) »

L’autorité de Jésus dans le domaine du savoir (cf. Mt 7,29), sur les esprits impurs (cf. Lc 4,36)  et sur la mort est très déterminante pour postuler Jésus comme Maître d’initiation.

En effet le maître d’initiation est une personne dotée d’une forte autorité parce  que :

ü c’est lui qui sait, qui maîtrise le parcours de l’initiation (Jésus enseigne avec autorité mieux que les rabbis et scribes juifs)

ü c’est lui qui peut ouvrir le chemin et qui peut affronter tous les imprévus qu’ils soient physiques et surtout spirituels (Jésus soumet tout et commande aux esprits)

ü enfin c’est lui qui est passé une fois (lors de sa propre initiation) et chaque fois(en initiant les jeunes) de la mort (à l’enfance) à la vie (d’adulte) et c’est lui qui donne aux candidats cette opportunité (Jésus est lui-même passé de la vie à la mort et il donne la vie, mieux il est la vie).

 

  1. 3.     Le modèle part d’un rôle social

3.1 Risques de non réception

 

La théologie africaine déplore le fait que les chrétiens d’Afrique ne disposent que de titres étrangers[2] à notre imaginaire pour représenter le Christ. Pour contourner cette situation, des modèles christologiques africains furent proposés. La plupart de ces modèles partent de rôle social très concret, ce qui peut entraîner des risques de non réception chez ceux qui ont fait de malheureuses expériences avec des personnes habillées de ces rôles. En guise de matérialité :

*  Initiation : l’initiateur abandonne et, des fois, laisse mourir les candidats faibles au cours du cheminement initiatique.

* Guérisseur : certaines personnes restent à jamais marquées par des guérisseurs ayant abusés sexuellement de leur patient ou maintenus longtemps en exploitation des personnes qu’ils ont soignées.

* Ancêtre : des maladies et événements malheureux sont des fois rattachés aux mécontentements des ancêtres qui exigent sacrifices  et réparation.

 

3.2. Nécessité d’une christologie de transcendance : cas de l’initiation

 

Comme le fait si bien remarquer A. Titianma Sanon[3], Jésus transcende infiniment l’initiation traditionnelle des Africains par sa mort sur la croix et par sa résurrection d’entre les morts.

En effet Jésus dépasse le traditionnel rôle du maître d’initiation qui propose son expérience d’ancien initié aux cadets en vue de leur initiation. « Jésus s’identifie plutôt à l’expérience quotidienne d’initiation de ceux dont il est le grand frère et le maître d’initiation. Il rend présentes sa souffrance et sa mort en conduisant vers la résurrection. »[4] Dans la pratique, le maître d’initiation donne des ordres, indique aux jeunes ce qu’il faut faire, les soumet aux épreuves tout en gardant une nette distance : il ne partage pas leur souffrance. Le maître est même indifférent aux cris d’aide lancés par ceux qui n’en peuvent plus, il les laisse à leur sort qu’il soit mortel ou pas. Jésus, par contre, est non seulement Maître (autorité de domination) mais il est avant tout Serviteur (autorité de service) et Sauveur (de la mort).

 

Conclusion

 

Noble et indispensable est cette labeur qui vise à pourvoir les chrétiens d’Afrique de concepts compréhensibles et forts de sens pratique dans leur quête de la personne du Jésus. Des modèles existent déjà, seulement leur diffusion semble inexistante ou handicapée car peu de nos chrétiens en ont connaissance. Cependant le lien très marqué de ces modèles christologiques africains avec des réalités et rôles sociaux n’est pas sans risque comme nous l’avons montré dans le cas de l’initiation. Ainsi le modèle « Jésus comme Maître d’initiation » gagnerait à être précédé par une véritable catéchèse qui aura soin de montrer le dépassement transcendant du rôle traditionnel du maître d’initiation qu’il suppose. De plus la formulation pourrait être revue pour donner : « Jésus comme Le Maître d’initiation ». L’insertion de l’article défini marquera le monopole, la suprématie et l’excellence dont jouit Jésus en la matière.

Abbé Romain SEMENOU


[1] Bénézet  Bujo, Introduction à la théologie africaine, Academic Press Fribourg, 2008, p76

[2] Kyrios (Seigneur) ; Pélican (dans le cantique Pie pellicane, Jesu Domine) 

[3] cf Bénézet  Bujo, Introduction à la théologie africaine, Academic Press Fribourg, 2008, p76

[4] Idem, p 77



03/03/2011
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