Afrique: continent des records négatifs
Développement : une urgence pour le continent
Le vrai développement est le passage pour chacun et pour tous de conditions moins humaines à des conditions plus humaines : échapper à la faim, à la misère, aux maladies endémiques, à l'ignorance ; participer aux fruits de la civilisation ; mettre en valeur ses qualités humaines ; reconnaitre des valeurs suprêmes, et Dieu qui en est la source et le terme ; s'orienter avec décision vers son plein épanouissement.[1]
Il est évident que le développement, loin d’être une réalité acquise, est un besoin urgent en Afrique ; aussi allons-nous simplement mettre en exergue certaines réalités socio-politiques du continent qui font écho à cette évidence.
- Un continent des records négatifs
- Une anecdote pour illustrer
Un record est une performance officiellement constatée et surpassant toute autre performance précédente dans la même discipline ou résultat, niveau supérieur à tous ceux obtenus antérieurement dans un domaine. Battre un record, c’est parvenir à un à degré de fait qui n’a encore jamais été atteint ou qui est exceptionnel.[2] Aussi record est un mot qui rime avec succès, exploit, prouesse et s’entend positivement. Or conjugué avec le terme Afrique, record change de camp et implique défaite, peine, retard crasseux. C’est l’histoire d’une ménagère qui, fatiguée de se faire traiter de vaurienne par son mari chaque fois qu’au journal une femme est louée pour son talent ou sa bravoure, se résout à poser un acte digne de la une des journaux. Elle s’assoit, réfléchit longuement et finit par concocter une manœuvre originale. La ménagère, ayant appris la veille à la télé que le cortège présidentiel en direction de l’aéroport passera sur la nationale n° 2, s’y rendit armée d’une bouteille de soda. Quand le cortège arriva à son niveau, elle projeta de toute sa force et au nom de sa fierté la bouteille sur la voiture immatriculée PR (Président de la République). La suite se déroula très vite, le troupeau d’agents de sécurité et de journalistes présents se rua sur elle. Le soir, au journal télévisé, son mari la vit effectivement mais son malheur fut de n’être pas là pour recevoir les fleurs fanées qu’il aurait bien voulu lui jeter.
- Une Afrique malade de pauvreté
L’Afrique est le continent qui bat les records négatifs : le continent le plus pauvre (sur les 20 pays les plus pauvres du monde, 19 sont africains), le plus endetté, le plus assisté, le plus corrompu, le plus atteint par, le plus … ; le continent le moins développé, le moins urbanisé, le moins alphabétisé (le taux d'analphabétisme – pratiquement égal à 0, en France – est de 56,8 % au Bénin, de 81,3 % au Niger), le moins … Tous ces records sont des indices de pauvreté, pauvreté matérielle, pauvreté morale, pauvreté technologique, pauvreté intellectuelle, pauvreté sanitaire. L’Afrique est malade de pauvreté !
1.1. L'Afrique, le continent où l'on vit le moins longtemps [3]
Sur le continent africain, l'espérance de vie n'atteint que 52 ans (49 en Afrique subsaharienne et 46 en Afrique orientale). D'une manière générale, l'Afrique australe (52 ans) et occidentale (51 ans) s'en sortent mieux que l'Afrique centrale (47 ans) et orientale (46 ans). En 2005, le Botswana détenait le record de l'espérance de vie la plus courte du monde : 33,9 ans.
Le taux de mortalité infantile est de 56 ‰ dans le monde (7 ‰ en Europe) et de 90 ‰ sur le continent africain : 49 ‰ en Afrique septentrionale, mais 98 ‰ et 103 ‰ en Afrique orientale et centrale… jusqu'à 143,6 ‰ au Sierre Leone. Un tel chiffre a un sens précis : plus de 14 bébés sur 100 meurent avant leur premier anniversaire.
Le taux de mortalité juvénile (décès d'enfants de moins de 5 ans) est plus marquant encore : 8 % au niveau mondial (1 % en Europe), mais 17 % en Afrique subsaharienne.
L'Afrique est bien le continent où l'on vit le moins longtemps.
D'après l'Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Afrique abrite environ 13,5 % de la population mondiale, mais presque 50 % des maladies infectieuses ou parasitaires déclarées dans le monde, un tiers des maladies diarrhéiques et 44 % des maladies infantiles (coqueluche, rougeole, poliomyélite).
1.2. Des partis uniques à la dictature démocratique
L’indépendance acquise, les leaders optèrent pour le parti unique dans le souci de contrer le tribalisme. Ainsi naquit un régime fondé sur la détention du monopole politique (son expression, son orientation) par un parti unique dit parti du peuple c’est-à-dire instance qui sait et qui assume la volonté politique du peuple. Mais la réalité était très éloignée de la conception. Le parti unique se conjugue avec « concentration excessive du pouvoir, anomie et pathologie collectives, déficit de légitimité, traumatisme psycho-culturels, peurs, monologue entre gouvernants et gouvernés, expropriation politique des masses, etc. »[4].
Il arriva un temps où l’incapacité à satisfaire les aspirations du peuple de ces gouvernements se fit jour, l’armée entra alors en scène. Les militaires prirent le pouvoir avec la résolution de le remettre aux civils. Cependant ce ne fut pas partout le cas ni dans les meilleurs délais. Dans certains pays les militaires se sont éternisés au pays, ailleurs la dégradation économique et les pressions des bailleurs de fond occidentaux les ont contraints à partir, là des coups d’état se sont répétés, certains ont tout de même tenu promesse et ont remis le pouvoir aux civils après un temps de transition. Aujourd’hui tous les régimes d’Afrique noire se disent démocratique. Mais les périodes d’élection marqués par les achats de conscience, les fraudes, les contestations, les coups de force, la corruption des comités électoraux et la manipulation des résultats, tracent assez éloquemment la physionomie de la démocratie à l’africaine. Il s’agit au fait d’une démocratie apparente – on se dit démocratique pour faire mode et éviter les regards de l’opinion internationale – qui voile tout une dictature subrepticement masquée.
- A ne pas négliger : une perte des repères moraux
Une valeur est un principe moral ou esthétique soit d’une communauté donnée soit universellement reconnu. Aujourd’hui plusieurs valeurs morales sont déclarées désuètes – on ne sait au nom de quels critères. Ces principes constituent les repères de chaque civilisation humaine, aussi les sociétés qui les rejettent sont-elles en train d’œuvrer inéluctablement pour leur déclin. L’Afrique s’égare loin de ses marques de noblesse, des valeurs propres à nos cultures (solidarité, hospitalité, gratuité, virginité avant le mariage, pudeur, fidélité, respect de la sacralité du sexe…). Les valeurs morales constituent le socle vital et … qui porte l’Afrique, leur tourner le dos, revient à couper la branche sur laquelle on se trouve. Le vent de la mondialisation souffle en Afrique et il souffle violence sur nos repères, démystifiant le cadre moral de nos rapports à nous-mêmes et à la communauté. Le projet d’interculturalité piloté par la mondialisation ne manque pas de fans mal aguerris sur le continent. Mais que peuvent tirer de l’interculturalité et de la globalisation tous azimuts, des africains à peine conscients et connaisseurs de leur identité culturelle et religieuse propre, et vite fascinés par les modèles d’ailleurs ?
Romain Séménou, diacre
Lomé, le 17 janvier 2012
[1] Cf. les numéros 1, 20 et 21 de Populorumprogressio de Paul VI, Vatican, 26 mars 1967
[2] Selon Le petit Larousse illustré de 2009
[3] Les chiffres sont ceux publiés par l’OMS et contenus dans l’article " santé Afrique " Encarta Microsoft® Études 2007 [DVD].
[4] Octave Nicoué BROOHM, Pratiques du parti unique et souffrances populaires, in Spiritus, n° 183, juin 2006, p 203