Eglise catholique au Togo : blog d'un prêtre de Lomé !

L’assistanat : une des tares de développement en Afrique


  1.       L’assistanat : une des tares de développement

Bien qu’il existe beaucoup de tares qui freinent le développement du continent africain comme entre autres la corruption, l’analphabétisme, l’absence de projet de société, la dictature et ses ramifications, le tribalisme, … nous nous intéresserons à l’assistanat car il ne semble guère évident ni pour la masse populaire ni pour la classe dirigeante.

           

 

2.1. L’assistanat : leurre et faux bonheur


L’assistanat nous soulage certes de la souffrance, mais il ne nous en libère point. Le comble, l’assistanat nous empêche de tirer profit de nos misères, en nous leurrant et en nous faisant miroiter des faux-bonheurs, des utopies, des illusions qui nous enchaînent et nous confinent dans un esclavagisme qui tait son nom. Les hébreux qui appelaient de tous leurs vœux  la libération du joug  égyptien, se sont mis, quand dans le désert il a fallu payer le prix de la liberté, à regretter le pain des Egyptiens. Dieu aidant, au moyen de la manne, ils ne sont pas retournés en Egypte, ils ont avancé ; cependant une fois à destination, la manne laissa la place au fruit de la sueur frontale. L’Afrique assistée, est une Afrique qui a abdiqué et qui s’est installée dans le désert de la manne, s’égarant loin de la terre de la promesse.


Les Africains ont été très tôt amenés à voir dans les aides et subventions de l’Occident une planche de salut à l’instar du naufragé qui tombe d’heureux heur sur une latte de bois qui le maintient à la surface. Une fois sur la terre ferme, cette planche de bois n’a plus autant de valeur à ses yeux, s’il la garde, c’est en guise de mémorial. Les Africains, une fois à bord du navire de secours, semblent vouloir y déployer toute leur existence, quitte à monter de toutes pièces des paysages socio-politico-économiques pour passer du rang de Pays sous-développé à celui de Pays Pauvre Très Endetté !


L’Afrique d’hier avait dit non aux puissances coloniales, ce qui s’est traduit par l’accession à l’indépendance dans les années 1960. Depuis ce temps, l’Afrique n’a jamais réussi à prouver qu’elle est apte à cheminer sans le soutien paternaliste des anciens colons. Au début, on a parlé des coopérants jugés indispensables pour assurer la transition entre l’administration coloniale et l’implantation d’une administration indépendante et autochtone. Depuis lors, des générations de coopérants occupent toujours le paysage africain ; si le nom est de moins en moins présent, la réalité perdure et tant à s’accentuer avec les exigences de bonne gouvernance venant des bailleurs de fonds qui se servent des coopérants tous azimuts comme garde-fous à la corruption. Aujourd’hui l’Afrique a son lot de cadres et d’intellectuels dont une majeure partie est bien formée et compétente. Cependant les politiques et les décideurs africains ont du mal à leur faire confiance. Ainsi on assiste toujours à une sollicitation de l’expertise étrangère dans tous les domaines, ce qui revient en définitive à grossir inutilement les factures de l’Etat et à décourager l’élite nationale contrainte à l’exode ou à devenir des vassaux des monarques. Dans une telle économie d’après indépendance caractérisée par une incohérence notoire quant aux rapports que l’Afrique entretient avec les puissances coloniales d’hier dont elle s’est déclarée indépendante, on se demande si l’indépendance a été conquise par les Africains ou offerte voire imposée par les pays colonisateurs[1]. En effet, une indépendance acquise au prix de luttes et de résistances  soldées par de nombreuses vies humaines – comme nous l’enseigne les manuels d’histoire – ne peut pas être gérée d’une manière aussi désinvolte et lâche. Soit l’indépendance a été une surprise pour les Africains qui le demandaient sans y tenir et sans y croire, soit l’indépendance a été, comme l’affirme Robert DUSSEY[2], mal acquise ou acquise au rabais, soit les pères africains qui ont réclamé les indépendances ne sont pas parvenus à inculquer la dose nécessaire de fierté et de détermination requise à leur progéniture. En tout cas le système d’assistanat chronique pose une équation où l’inconnu reste les termes de négociations de l’indépendance de l’Afrique. L’assistance internationale, « une mise sous perfusion »[3], crée un droit d’ingérence, d’une ingérence qui perd toute sa portée d’agressivité, de violation du fait qu’elle gagne en légalité car sollicitée par les Africains eux-mêmes.


            2.2. Une Eglise accro aux subsides


Sur le plan ecclésial, un retour à l’histoire de la première mission de l’Afrique est indispensable pour cerner le goût très prononcé aux subsides. Il a fallu attendre la colonisation pour espérer une implantation durable, libre et protégée de la mission. En effet, la force coloniale a ouvert les terres de l’intérieur, l’arrière continent aux missionnaires longtemps confinés à la côte.[4] Forte de l’autorité coloniale, la mission avait la capacité de libérer les personnes – qui le voulaient – du joug de certaines pratiques et du courroux de prêtres de la R.T.A. : les lourds sacrifices à offrir, le mariage forcé, l’obligation d’entrer au couvent, les amendes aux vodous, le lévirat, le tribunal traditionnel… De plus la mission se présentait désormais comme pôle d’instruction, de soins sanitaires, d’aides matérielles.  Cet état de faits et d’organisation influencera énormément et durablement les adhésions à la foi chrétienne. Encore aujourd’hui, dans certains milieux, mission – le plus souvent prononcé en avec un accent anglais – désigne et l’église et l’école et le dispensaire installés sur le même site.


L’implantation de l’Eglise en terre africaine est si intimement et intensément liée à l’assistance sociale qu’elle porterait un avatar génétique qui en fait une Eglise assistée, une Eglise portée par un assistanat persistant et permanent, une Eglise dépendante et pendante à la main généreuse du missionnaire et des Eglises sœurs d’Occident. Les germes de l’attachement morbide aux subsides qui crée une susidomanie seraient ainsi intrinsèques à la naissance de l’Eglise en Afrique.


En scrutant la stratégie des missionnaires, on est tenté de croire que la foi est née en Afrique au bon soin d’un attrape-nigaud. Aujourd’hui l’exercice de la charité de l’Eglise est dédouané de cette visée de prosélytisme.[5]  Cependant si l’Africain ne se prend pas au sérieux pour faire montre d’une foi sincère et d’une auto-prise en charge adulte au lieu de s’entêter et s’empêtrer dans une puérilité humiliante, les bonnes sœurs se croiront en droit et devoir de lui tendre le paracétamol d’une main et de l’autre le Credo : le tout avalé au gré du même verre d’eau !

Romain Séménou, diacre
Lomé le 17 janvier 2012

[1] Pour mieux comprendre le lien entre indépendance et assistanat en Afrique de même que la relation inextricable qui lie les pays africains aux anciennes puissances coloniales aujourd’hui, lire : René Dumont, L’Afrique noire est mal partie, Seuil, 1962 ; Axelle Kabou, Etsi l’Afrique refusait le développement ?,L’Harmattan, Paris, 1991 ; Stephen Smith, Négrologie, Pourquoi l’Afrique meurt, Hachette Littératures, 2003 ; Antoine Glaser et Stephen Smith, Comment le France a perdu l’Afrique, Calmann-Lévy, 2005 

[2]Robert DUSSEY, L’Afrique malade de ses hommes politiques, Jean Picollec, Paris, 2008, p 195

[3]Robert DUSSEY, L’Afrique malade de ses hommes politiques, Jean Picollec, Paris, 2008, p 182

[4]C’est ce que reconnaissent les évêques africains  qui ont rendu, au n° 37 de Ecclesia in Africa, un hommage aux pays qui ont soutenu la mission.

[5] Cf. Benoît XVI, Deus Caritas, Rome, 25 décembre 2005, n° 31



17/01/2012
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