Les Religions traditionnelles africaines et l’inculturation ?
Les Religions traditionnelles africaines : sujet ou objet d’inculturation ?
Les RTA (Religions traditionnelles africaines) [1] ont trop souvent été, dans le cadre de l’inculturation, prise pour objet – non sujet, ce qui implique droit d’expression – à décortiquer, à dépecer pour ne retenir que des portions qualifiées d’aspects positifs, de germes de l’Esprit, de pierres d’attente, … Cette inculturation confirme l’«image de domination et de conquête » que le théologien indien AMALADOSS décèle dans la démarche de l’inculturation qui fait «penser à un organisme cosmique géant, qui continue à grandir, se nourrissant des éléments des diverses cultures qu’il rencontre ». Elle est vieillotte et doit être reléguée au musée ou aux archives de la première évangélisation. La R.T.A est une religion à part entière[2] et forme ainsi un tout structuré et dynamique. Détecter des éléments dans les R.T.A., les isoler puis les oindre de catholicité n’est point une véritable inculturation, il s’agit d’une inculturation qui boite. Toutefois ce n’est pas rien. C’est pourquoi de telles entreprises ont eu, hier, le mérite d’avoir osé l’inculturation et d’avoir maintenu la lampe allumée.
Le pape Paul VI affirme en Ouganda en 1969 au SCEAM que les africains ont le droit et le devoir d’avoir un christianisme africain. « Dès lors, de nombreux théologiens s’engouffrent dans la brèche ouverte et élaborent des œuvres théologiques qui partent toutes du tri sélectif des valeurs africaines en positif et en négatif, et s’achèvent par une exhibition des valeurs positives, présentées comme compatibles avec la révélation chrétienne, une révélation qui ne fait désormais plus fi des valeurs ancestrales. La logique du parallélisme antithétique et synthétique est de mise.[3]» Cependant, aujourd’hui, la démarche d’inculturation ne peut plus se résumer à cette opération chirurgicale qui fait le tri entre les cellules viables et les cellulescancérigènes de la culture africaine. Au demeurant, elle rimerait avec une certaine forme de mépris : un christianisme hautain ayant une pelle à vanner en main …
La culture est un tout qui se tient et se réclame. La disséquer, la tamiser et en retirer seulement quelques aspects – rapidement canonisés de valeur culturelle – qu’on voudrait faire reconnaître comme culture positive, et en partir pour un travail d’inculturation est un coup de force. Et nous savons que tout coup de force comporte des défauts de logique, des déductions improbes, et des sophismes. « Comme la vie en Afrique ne se laisse pas diviser en petits morceaux, mais doit être vue comme une unité, l’art africain ne peut être séparé du religieux. »[4] La culture est un tout, et l’inculturation doit l’aborder dans son ensemble : aussi bien ce qui est considéré comme éléments positifs ou authentiques valeurs culturelles qui connaîtra une intime transformation par leur intégration dans le christianisme quela part jugée impropre ou imparfaite qui sera transformée par les valeurs évangéliques[5].
Le rapport entre les R.T.A. (Religions traditionnelles africaines) et le christianisme doit être avant tout un dialogue. Un dialogue progressif qui se fait don et réception ; un dialogue qui se fait rencontre et devient inculturation. La R.T.A. ne serait alors plus simple objet car, par le dialogue qui lui offre l’opportunité de la parole, elle s’affirmera sujet et sera plus prompte à des concessions. Jusqu’alors, la plupart des travaux d’inculturation portant sur les R.T.A se sont contentés d’un dévoilement, réduisant ainsi les R.T.A. en un objet figé dans le temps, inerte aux contacts. Ils n’ont pas pris le temps de laisser les R.T.A se révéler.[6]
Romain Séménou, diacre
Lomé le 17 janvier 2012
[1] Ce vocable Religion Traditionnelle Africaine est tantôt au singulier tantôt au pluriel ; cela révèle le malaise que son usage crée. En effet RTA au singulier est une expression trop vaste et réductrice des diversités et spécificités religieuses de l’Afrique. Toutefois l’idée fut ingénieuse de rebaptiser les religions du continent, les sauvant de l’image de barbarie, de paganisme, de fétichisme, d’animisme que lui collaient les colons, les missionnaires et autres personnes étrangères à l’essence des réalités religieuses propres au monde noir africain.
[2] Des représentants des R.T.A. (Religions traditionnelles africaines) étaient présents au rendez des grandes religions à Assise pour la prière pour la paix.
[3] Gabriel TCHONANG, Brève historique de la théologie africaine, in Revue des Sciences Religieuses, 84e année-n°2-Avril 2010, Strasbourg, p 179
[4]BénézetBujo, Introduction à la théologie africaine, AcademicPress Freiburg, Suisse, 2008, p 41
[5] Cf. Ecclesia in Africa n°59 et 61
[6]Se reporter à Emmanuel LEVINAS, Totalité et Infini, 1961