L’immigration, une clef d’évaluation culturelle
Article IV L’immigration, une clef d’évaluation culturelle
- 1. L’immigration est un problème pour les blancs
L’immigration est un problème récurrent, qui se pose avec acuité à nos sociétés africaines et aux pays occidentaux. L’Afrique se dépeuple, mais cela ne gêne personne en Afrique car on ne connaît pas le nombre de la population et il n’y a aucun projet d’avenir requérant une forte disponibilité de ressources humaines si ce n’est le chômage. L’Europe par contre s’inquiète de l’immigration en progression pour deux raisons : la sécurité sociale est une garantie citoyenne très respectée, ainsi un envahissement de l’Europe par les africains handicaperait le système de sécurité sociale même s’ils travaillent et cotisent ; la pandémie du chômage n’épargne pas les pays d’Europe, du coup la main d’œuvre africaine devient une menace pour la réduction du taux de chômage d’autant plus qu’actuellement les européens veulent s’acquitter eux-mêmes des tâches subalternes.
- 2. En Afrique, l’immigration est une solution
En Afrique, où le taux de chômage est méconnu et où la sécurité sociale est un luxe, on s’étonnera toujours de la barbarie des blancs qui ne veulent pas de noirs chez eux. Ouvrez les frontières, laissez-nous passer… L’été comme l’hiver vous venez chez nous, laissez-nous passer… ce sont des paroles chantées par l’artiste ivoirien Tiken Jah Fakoly. Oh, nous sommes réduits aujourd’hui à pleurer et à supplier les blancs de nous laisser venir chez eux ! Les africains trouvent injuste le fait que les européens peuvent venir facilement dans nos pays tandis qu’il nous faut des tractations et de la chance[1] pour voyager sur l’Europe ou l’Amérique. Le visa de la plupart des pays de l’Afrique sub-saharienne peut s’obtenir une fois débarqué à l’aéroport du pays, point n’est besoin de forcément passer par les ambassades. Cela écœure les africains qui ont une fois tenté de s’établir un visa Schengen ; c’est pourquoi quand Kadhafi (qu’il repose en paix) interdisait l’entrée sur son territoire aux ressortissants de l’Union Européenne et rapatriait du Lybie même ceux qui ont des visas en cours de validité, c’est toute l’Afrique qui crie victoire et se sent venger.
- 3. Pourquoi partent-ils ???
Mais la réelle question est de savoir pourquoi les jeunes n’espèrent plus en l’Afrique et se sentent contraints de la quitter au risque de rater leur avenir ? Hier les africains étaient amenés de force en Occident, aujourd’hui ce sont les africains mêmes qui luttent et sacrifient tout – vie, sécurité, relations humaines, confort, dignité et richesses – pour s’y rendre. Aux temps des colons négriers, l’africain était recherché et acheté pour les terres d’ailleurs ; aux temps des indépendances, l’africain cherche et achète tout – faux visa, carte de réfugié, passeport diplomatique – pour quitter la terre de ses aïeux. Afrique qu’as-tu fait à tes fils pour qu’ils te fuient ? Afrique qu’es-tu devenue après tant de luttes et de vies sacrifiées ? Pauvre de toi Afrique, le lait de tes seins a un goût amer qui coupe tout envie de téter à tes enfants.
Les jeunes quittent-ils la terre africaine à cause de la séduction de la civilisation occidentale ou du fait de l’échec politique et économique que ne cessent de perpétuer nos dirigeants ? L’une ou l’autre de ces causes sont valables et sont d’ailleurs imbriquées. La situation de désolation économique, sociale et politique sous laquelle se noie l’Afrique crée un sentiment d’impuissance, de désespoir, de peur qui renforce l’admiration de l’Occident, vu désormais comme icône de réussite et oasis de bonheur. L’Europe, c’est une terre, une organisation sociale, économique et politique, mais l’Europe, c’est avant tout une civilisation qui veut gagner du terrain et des hommes en ces heures de mondialisation. Admirer l’Europe, c’est épouser une civilisation, c’est choisir le mode de vivre d’ailleurs, c’est mourir à son soi africain pour ressusciter au leur occidental. Cet état de fait et d’âme se mesure à la fascination que provoquent ceux qui reviennent de l’Europe ou des Etats-Unis d’Amérique chez les jeunes moins chanceux qui ne sont pas encore partis – le projet de partir étant acquis et certain chez presque tous – et à l’engouement pour la loterie visa organisée annuellement par les Etats-Unis.
- 4. L’africain a faim et soif de …
Vile yovode namea, honameto ye : avoir un enfant au pays des blancs, c’est avoir un sauveur, chantaient des jeunes togolais. Cela met en évidence le lien étroit entre la paupérisation grandissante en Afrique et l’immigration vers l’Europe et l’Amérique. Oh Afrique, sûrement tu n’as plus de larmes après avoir pleuré tant de fils morts avant d’atteindre les côtes européenne dites de salut. Afrique sais-tu le nombre de tes fils, parqués dans des embarcations de fortune, qui ont péris à la quête des îles Canaries ?
- 5. Ouvrez les frontières !
L’Europe se ferme et les africains réclament son ouverture : ouvrez les frontières ! C’est une image triste, honteuse et éminemment contrastante qui met en scène d’une part une Afrique fière qui accuse l’Occident d’avoir ruiné sa civilisation et qui affirme partout avec pompes son identité culturelle, et d’autre part une Afrique en mal de vivre à l’africaine – pauvreté, dictature, initiative zéro, intoxication de tout genre – et qui aspire de toutes ses forces à obtenir un visa vers l’eldorado européen ou américain.
Abbé Romain Séménou,
Lomé, le 17 novembre 2011
[1] Au bas de la liste des pièces justificatives à présenter pour la demande d’un visa pour la France, il est mentionné « Il est rappelé que la présentation d’un dossier complet n’entraîne pas nécessairement la délivrance d’un visa… »