Une Afrique entre mondialisation et tribalisme
ArticleV Une Afrique entre mondialisation et tribalisme
- 1. L’Afrique aux pieds de la mondialisation
La courbe de la population africaine montre qu’elle a une forte proportion de jeunes. La pyramide des âges est très large à la base, et dans la plupart des pays d’Afrique, près de la moitié de la population est âgée de 15 ans et moins[1].
L’Afrique a bel et bien été embarquée dans le courant de la mondialisation, cette internationalisation des relations économiques et culturelles. Et l’Afrique n’en est pas un acteur des moindres – sans ironie –, vu qu’elle occupe une place de choix dans la chaîne de consommation qui se veut plus que la production le moteur de la globalisation. En effet les africains consomment bien de produits importés de l’Asie, de l’Europe et de l’Amérique et en retour nous exportons peu.
Aujourd’hui tous les produits, que ce soient les appareils de la nouvelle technologie, les consommables informatiques ou les produits alimentaires, sont disponibles sur tous les marchés africains. Cette disponibilité accrue et la chute des prix des articles influent nettement sur les modes de vivre des africains. De nos jours, tout le monde a ou veut avoir un ordinateur portable connecté à internet à la maison. Hier encore des gens allaient regarder la télévision chez leurs voisins, par ces temps ce phénomène se raréfie : chaque maisonnée a son poste téléviseur et les jeunes regardent la télé sur leur téléphone portable Black Berry ou Ipad. Dans ce même ordre, un constat s’impose : les gens ne savent plus se déplacer à pieds ; le goût de la vitesse et les relents de facilité œuvrant, tout le monde tient à aller à moto – ce qui augmente le chiffre d’affaire des fabricants asiatiques – ou en voiture – l’Afrique devient alors l’oasis des voitures non gratta en Europe.
Un autre retombé de la mondialisation qui institue et encourage une culture de consommation est l’abandon du travail de la terre et par ricochet l’exode des jeunes vers les centres urbains et plus tard la course à l’immigration vers l’Occident.
Après avoir séduit et rendu amoureuse l’Afrique qui n’a point hésité à mettre à ses pieds, la mondialisation est parvenue à intimer à l’Afrique un ordre : au pied, l’Afrique ! Et aussi docile qu’un chien bien dressé, l’Afrique s’est rangée à ses côtés.
- 2. Constat : un tribalisme persistant
Avec la mondialisation et le déni de valeur de certaines réalités culturelles identitaires, on pourrait croire à tort que le glas du temps où l’ethnie était sacré et prioritaire chez l’africain a sonné. Il n’en est rien. En effet l’Afrique traîne toujours une réputation de tribalisme qui est d’ailleurs un efficace spectre de lecture des tensions politiques. Après les indépendances (1960), les mouvements nationalistes et la classe dirigeante ont cru arriver à bout du tribalisme en instaurant le parti unique et en appelant à l’unité nationale. Ce fut une ingéniosité qui a fait ses preuves et ses limites, sans toutefois parvenir à évincer la logique tribaliste ! Les afro-jeux fondés sur l’ethnie confirment à grand renfort la définition de l’ethnie donnée par A. CH. Taylor, in Dictionnaire d’Anthropologie et d’Ethnologie : « l’ethnie n’est rien en soi, sinon ce qu’en font les uns et les autres. L’Ethnie est un objet de manipulation ».
L’ethnie a été souvent et si habillement instrumentalisée par les politiques en Afrique que le tribalisme s’impose désormais comme marque référentielle de l’histoire qui s’y joue. Les politiques, après avoir opté pour la mauvaise gouvernance, institué le détournement du bien commun en système de gouvernement, initié une culture promotrice de la médiocrité, proclamé une démocratie avortée, font l’expérience de l’impuissance politique et de l’échec qu’ils veulent solutionner au moyen de stratégie tribale, tribalisant et triviale. L’ethnie devient le refuge et le soutien politique recherchés. Cela est vite perçu en temps de campagnes électorales et lors des proclamations des résultats : tel candidat est du Sud, tel autre du Nord ; chacun retourne se faire élire député dans sa zone d’origine ethnique, une zone où on n’est pas né et où on ne vit pas ; chaque candidat est gagnant dans sa sphère ethnique et n’accède à la magistrature suprême que celui dont le champ ethnique est le plus étendu.
- 3. Oh ! Tribalisme même en Eglise !
Si les politiques africaines ont péché en la matière, ceux qui devraient les raisonner et les absoudre – l’Eglise : hiérarchie – n’échappent pas toujours à cette vision de l’organisation sociale fondée sur l’appartenance ethnique.[2] Le contre-témoignage de certains pasteurs de nos Eglises renforce la question du pape Jean-Paul II, vieille de dix sept ans : « l'Église en Afrique a-t-elle formé suffisamment les laïcs, pour les rendre capables d'assumer toutes leurs responsabilités civiques et de réfléchir sur les affaires d'ordre socio-politique à la lumière de l'Évangile et de la foi en Dieu? » (Ecclesia in Africa n° 54)
Les pères du premier synode pour l’Afrique n’ont pas manqué de souligner la difficile équation que pose la multiplicité ethnique des pays africains et son retentissement au niveau ecclésial. « Il a été remarqué avec raison qu'à l'intérieur des frontières héritées des puissances coloniales la coexistence de groupes ethniques, de traditions, de langues et même de religions différentes rencontre souvent des difficultés dues à de graves hostilités réciproques. " Les oppositions tribales mettent parfois en péril, sinon la paix, du moins la poursuite du bien commun de l'ensemble de la société, et créent aussi des difficultés pour la vie des Églises et l'accueil des pasteurs d'autres ethnies " » (Ecclesia in Africa n° 49).