La musique face à l'impératif de développement en Afrique
Introduction
La population africaine est jeune, attestent les statistiques aussi bien des administrations locales que des organismes internationaux. C’est l’une des raisons qui valent à l’Afrique – pauvre d’elle – la vague de campagnes de planning familial. Les rues de nos pays sont arpentées de nombre de jeunes à longueur de journée. Et le constat est qu’à leurs oreilles se pendent des écouteurs qui distillent dans tout leur être des sons organisés et rythmés : la musique. Aujourd’hui plus qu’hier, la musique est une donne de la vie. Chaque jour et dans presque tous les lieux, un air musical est présent ou se devine. Dans une société contemporaine caractérisée par la peur et la fuite du silence, de la solitude, la musique – quelle qu’elle soit – est à l’honneur. Si ce n’est pas un lecteur audio ou vidéo classique qui la joue, ce sera l’ordinateur de bureau ou le téléphone portable ; de toutes les manières, chacun s’arrange pour avoir à portée de ses oreilles de la musique ! Mais la surprise se révèle quand on se met à demander : qu’est-ce que la musique ? A quoi sert-elle ? A la première question, beaucoup diront quelque chose, peu ou prou proche d’un essai de définition de la musique. « Je ne me suis jamais posé la question. » avoueront plus d’un à la deuxième question ; certains postuleront l’utilité de la musique exclusivement par son effet sur l’esprit, le corps et l’âme de l’homme. Nous voudrions répondre à cette interrogation en la précisant : quel rapport y a-t-il entre la musique et le développement ? D’abord nous circonscrirons la notion de développement ; puis nous montrerons comment la musique est au service du développement durable, après l’avoir succinctement définie. Enfin nous initierons une réflexion sur la promotion de l’enseignement et de la pratique musicale, avant de conclure notre travail.
- 1. Notion de développement
Le mot “développement’’ est très employé et a finalement sombré dans un galvaudage qui impose à tout travail intellectuel sérieux de préciser sa notion avant tout. Nous procéderons en trois étapes.
1.1- Conception courante
La masse populaire qui aspire de tous ses vœux à un mieux-être réel et toujours croissant, comprend le développement comme tout processus aboutissant à procurer aux habitants d’un pays les conditions de vie, de travail et de loisir satisfaisantes. Le développement se traduit donc en progrès technique et industriel, en abondance de produits de consommation accessibles à tous.
1.2- Selon le PNUD
Le développement comporte naturellement une dimension économique, celle de la croissance, mais il lui est surimposée des dimensions sociales et culturelles. Ainsi, les mesures du développement du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) ne prennent pas seulement en compte des indicateurs économiques comme le PNB et le PIB mais intègrent d’autres variables dans l’IDH (Indicateur de Développement humain).
1.3- Le développement durable
C’est un modèle de développement économique et social visant à assurer la pérennité du patrimoine naturel de la Terre. Le concept de développement durable se fonde sur la mise en œuvre d’une utilisation et d’une gestion rationnelles des ressources (naturelles, humaines et économiques), visant à satisfaire de manière appropriée les besoins fondamentaux de l’humanité.
2. La musique au service du développement
La musique est riche de définitions et de propos descriptifs. Nous en présentons donc quelques éléments successibles d’intéresser la perspective de ce devoir, avant de peindre les rapports entre musique et développement. Le développement est pris ici plus au sens de développement durable.
2.1- Une définition de la musique
La musique est l’art de combiner agréablement des sons entre eux. Elle provoque chez celui ou celle qui la pratique des sentiments et des impressions très riches. La musique est souvent associée à d’autres arts, comme la danse et le chant. La musique est aussi une science, où les règles jouent un grand rôle. La musique possède un langage : ce sont les notes écrites sur une partition ; on parle de notation musicale. La musique se révèle enfin être une industrie qui génère beaucoup d’argent.
2.2- La musique comme facteur culturel de développement
La musique, une expression culturelle : la musique est présente dans toutes les cultures, elle exprime la culture qui la fait naître, la porte, l’habille et l’alimente. La musique est donc un élément de référence de chaque culture, un symbole de reconnaissance culturelle des peuples dans le concert des nations. Des groupes culturels doivent leur rayonnement mondial en grande partie à leur art musical (Les Antillais, par exemple, avec le Zouk).
La musique, conserve la culture : la musique est le meilleur moyen de conservation de la culture notamment dans les sociétés ayant une tradition d’oralité. La musique traverse plus aisément le temps que les récits oraux. Le développement culturel exige la conservation du socle culturel originel à partir duquel s’organise et se profile tout additif ou orientation nouvelle. La musique qui joue le noble rôle d’archives culturelles, est donc un facteur capital du développement culturel.
2.3- La musique comme facteur social de développement
Dès l’avènement de l’humanité, la nécessité de s’organiser et de vivre en société s’est imposée aux hommes. La musique permet la cohésion de la vie sociale et en favorise l’essor notamment par sa capacité de fédérer plusieurs personnes (voire toute une société).
- Dans les groupes musicaux : Plusieurs individus différents de par leur religion, leur langue, leur profession, leur race… se mettent ensemble et travaillent en parfaite harmonie au nom de la musique. Les membres de ces groupes s’éduquent à l’acceptation de l’autre dans ses différences.
- Pour les spectacles : Dans les salles de spectacle, chacun s’assoit à côté d’un autre qu’il soit familier ou pas, de même origine culturelle ou non, de conditions sociales supérieures ou inférieures. Et il n’est pas rare de voir de parfaits inconnus vibrer et gesticuler ensemble sur un air !
- Par son exécution : l’exécution de la musique, particulièrement chanter, développe la vie sociale. Prenons l’exemple des hymnes. L’exécution d’une hymne (nationale, religieuse, événementielle,…) est une expression de reconnaissance nationale, un signe d’appartenance à une même communauté religieuse, un gage de communion d’intention. De plus, dans un groupe où les gens n’arrivent plus à s’entendre et où il devient difficile d’imposer le silence, l’exécution d’un chant permet de retrouver le calme.
- Par l’engagement social des musiciens : l’exemple le plus récent est l’organisation dans bien de pays de concerts pour récolter des fonds en faveur des victimes du séisme en Haïti. Au Togo, mentionnons l’initiative des artistes comme King Messan et Mme Habitor Makafui qui ont fondé des orphelinats respectivement à Agbodrafo et à Lomé.
2.4- La musique comme facteur de développement économique et technique
Le lien entre musique et développement économique n’a rien d’anecdotique. Tout d’abord, si la musique est un art, c’est aussi une activité multiforme dont le poids économique est considérable. Dans une société post-moderne où le temps libre et la consommation culturelle se sont spectaculairement accrus, les manifestations musicales se multiplient, la pratique instrumentale se démocratise, la diffusion et l’écoute de la musique se généralisent.
En effet la musique est aujourd’hui enregistrée dans des studios très sophistiqués
sous la direction d’un producteur qui met en valeur le talent des musiciens. Une fois enregistrée, la musique est diffusée commercialement sous forme de
disques vinyles, de cassettes, de mini-discs ou de CD. La musique est également
diffusée par les radios et grâce à la télévision, qui montre des vidéo-clips et
des concerts enregistrés. Depuis la fin des années 1990, l’Internet est
également devenu un important moyen de diffusion de la musique. La musique peut donc s’écouter et se pratiquer chez soi, mais elle prend toute son
ampleur lorsqu’elle est jouée en public et en direct, sur une scène lors d’un concert.
Les concerts et la vente des disques génèrent des sommes importantes, voire faramineuses dans les pays où l’industrie de la musique est bien organisée (Etats-Unis, Europe,
Côte d’Ivoire, Nigéria, etc.). Toutefois, remarquons que la piraterie grandissante est
un coup dur qui freine le cours normal de cette industrie surtout dans les pays
sous-développés.
Rappelons, contre ceux qui opposeraient l’art, domaine de la créativité, à la science, domaine de la rigueur, que des progrès décisifs de la mécanique doivent beaucoup à la question de la tension des cordes de violon, que l’acoustique est une branche de la physique ou que la musique contemporaine explore l’interface avec l’informatique.
2.5- La musique comme engagement écologique
La musique est peu suspecte de nuisances ou d’excès nocifs à l’environnement à la différence de bien d’autres loisirs ; elle ne nécessite pas d’installations disgracieuses génératrices de pollution paysagère.
La musique sert aujourd’hui de tremplin aux campagnes écologistes. Beaucoup de musiciens interpellent la société sur les dangers de la pollution pour la vie sur la terre à travers leurs compositions et prestations. C’est le cas de Gaye Marvin (1939-1984), compositeur et interprète de musique soul américain, dans son album What’s Going On (1971), où il développe le thème d’écologie, outre des réflexions engagées sur la famille et des questions politiques et sociales telles que la guerre du Viêt Nam ou le racisme.
3. Développement de la musique
Tout ce qui précède fait de l’impact constructeur de la musique sur le développement, une évidence. Au risque donc, d’être inconséquent, illogique, il nous faut reconnaître que les apports de la musique au développement montrent qu’il est impérieux de promouvoir l’enseignement et la pratique de la musique. Nous suggérons donc, en demeurant dans le contexte typiquement togolais, une série de propositions dans ce sens.
3.1- L’enseignement
Le constat est clair que l’enseignement de la musique au Togo est défectueux du fait de la rareté des professeurs et de la presqu’inexistence de vraies écoles de musique. Les quelques maisons de formation musicales qui se rencontrent sont plus des lieux d’initiation que de perfectionnement. Dans quelques établissements scolaires, en milieu urbain, un cours de musique est dispensé ; cependant il n’est souvent motivé que par l’épreuve de musique aux examens officiels. Il est donc temps, que soient fondées des écoles compétentes d’enseignement de la musique. Et ceci ne doit pas être la seule charge de l’Etat, mais aussi être l’initiative de mécènes, mordus à la musique.
Les musiciens togolais pourraient s’auto-organiser pour faire naître une école de musique, en attendant que le rêve d’un conservatoire de musique se concrétise dans notre pays.
3.2- La pratique
La musique ne nourrit pas son homme, sommes-nous tentés d’affirmer. En effet, les musiciens togolais sont pour la plupart contraints d’exercer d’autres métiers pour survivre. De plus le fléau de la piraterie les prive des fruits de la sueur de leur génie artistique.
Les musiciens ont incessamment besoin du soutien de tous : de l’Etat et de tous les citoyens. L’Etat pourrait accorder des subventions aux musiciens et renforcer les moyens du BUTODRA (Bureau Togolais des Droits d’Auteur) pour la lutte contre la piraterie. Les citoyens, quant à eux, devront cesser les pratiques de piraterie domestique (gravure anarchique des CD et DVD des artistes) et arrêter d’acheter les disques piratés chez les “Médjira”ou “Ahoussaviwo”, bien que leur prix soit le plus adapté à nos moyens financiers. C’est le développement de l’art musical et la survie des musiciens qui l’exigent !
3.3- Musique : art ou artisanat ?
L'artisan a pour but de produire des objets d'usage : c'est l'usage qu'on va faire de l'objet qui détermine ses caractéristiques et donc la façon dont on va le fabriquer. L'artiste quant à lui ne vise pas l'utile, mais le beau. Si l'habileté technique est la limite supérieure de l'activité de l'artisan, elle est la limite inférieure des beaux-arts : alors qu'on attend d'un objet courant qu'il soit bien conçu et réalisé de façon à être d'usage aisé, on n'attend pas simplement d'une œuvre d’art, d’un tableau par exemple, qu'il soit bien peint, mais qu'il éveille en nous le sentiment du beau.
Aujourd’hui le constat est clair, bon nombre de ceux que nous appelons généralement “musiciens” sont plus artisans qu’artistes. En effet leur production vise d’abord l’utilité pratique et ses retombées financières. Le souci esthétique et la portée spirituelle, qui font l’art, sont absents ou en second plan. Ce qui favorise l’essor de la musique artificielle créée à partir de logiciels informatiques sans qu’on ait besoin de jeux de réels instruments de musique. Il s’agit alors d’une combinaison mécanique et non plus d’un jaillissement inspiré.
Conclusion
Musique et Développement, deux thèmes que nous n’avons pas l’habitude de mettre en relation. C’est pourquoi la surprise est grande, très grande quand on découvre la multiplicité et l’étendue de la contribution au développement dont la musique est capable. Aussi bien sur le plan économique, technique, social, culturel, qu’environnemental, la musique a sa place et sa pierre à apporter. Ainsi le développement intégral – c’est-à-dire de l’homme et de tout l’homme – ne saurait faire fi de la musique. Et par conséquent l’art musical mérite d’être promu et divulgué, aussi toute société (les décideurs politiques et les citoyens) se doit-elle de mettre en place les moyens et les conditions nécessaires à l’essor de la musique.