Eglise catholique au Togo : blog d'un prêtre de Lomé !

L’Europe et les religions

De Benoît XV à Benoît XVI : des papes pacificateurs ?

La pharmacopée vaticane et l’unification européenne

 

 

L’Europe et les religions

 

Table ronde organisée par la Société chauvinoise de philosophie, avec le soutien de la Fondation Gabriel Péri, samedi 23 février 2008, Hôtel de ville de Chauvigny, avec Agnès Cugno, Patrick Gaud, Nicole Gengoux, Paolo Quintili, Emmanuel Chubilleau.

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I. laïcité de combat et souveraineté nationale

 

La séparation de l’État et des Églises, en 1905, accompagne juridiquement, et renforce, une tendance sociale au recul des religions institutionnalisées. La déconfessionnalisation et la décléricalisation de l’enseignement se sont affirmées dès les années 1880 en rendant l’école primaire laïque puis en retirant aux clergés le droit d’enseigner. La laïcité trouve ici son premier contenu. Les valeurs républicaines peuvent désormais être inculquées par cette nouvelle figure sociale qu’est l’instituteur. Instituteur qui sera rapidement relayé dans son rôle d’entrepreneur de morale collective par les intellectuels, dont il apparaîtra clairement après l’Affaire Dreyfus qu’ils ont « simplement » remplacé les anciens clercs dans leur tâche d’émulation. La première génération formée à la morale républicaine sera celle qui sera mobilisée en 1914 pour aller grossir les charniers de la Grande Guerre.

 

Mais si le ministère dirigé par Émile Combes de l’été 1902 à janvier 1905 pousse la laïcité de combat à son paroxysme et si celui de Maurice Rouvier entérine en décembre la Séparation, leur action n’a pas uniquement une portée idéologique. Leur politique contre les Congrégations religieuses et des désaccords avec l’Église sur la nomination de ses ministres du culte ont fourni à la mi-1904 le prétexte à la rupture des relations diplomatiques avec le Saint-Siège. Cette rupture a pour conséquence d’enclore la religion du Nouveau testament dans les frontières de la Nation et de pousser à l’émergence d’un catholicisme de France, tout comme la création du Conseil national du culte musulman vise désormais à donner naissance à un Islam de France. Il s’agit aussi d’œuvrer à la création d’une autorité et d’une communauté religieuses qui s’inscrivent dans le projet national et ne reçoivent leurs directives d’aucune puissance étrangère. Alors que la IIIe République consolidait encore ses institutions, le combisme défendait par là la souveraineté de l’État, en refusant toute ingérence dans sa politique intérieure comme dans son positionnement en Europe et sur la scène internationale. La défaite de la Russie face au Japon, les premiers assauts révolutionnaires de 1905 et les escarmouches avec l’Allemagne dans les sphères d’influence coloniales montraient déjà les signes d’une remise en cause de l’ordre mondial, qui allait bientôt mettre à l’épreuve toute la puissance des États. Et la réaffirmation de la souveraineté nationale à l’égard du Vatican dévoilera ses finalités stratégiques lors de la Première Guerre mondiale.

 

En marge du positivisme idéologique qui anime la laïcité de combat, l’unité nationale se dote donc d’une âme collective avec cette morale républicaine à la force centripète qui sera bientôt fonctionnelle. Force d’intégration à laquelle, il faut le remarquer, les courants socialistes eux-mêmes n’échapperont pas. Toute la doctrine de Jaurès est-là pour en témoigner : le « socialisme républicain » est bien en France la subordination de la politique de classe à l’intérêt national. Par contre, si le nationalisme républicain se révèle opérationnel dans la phase de confrontation ouverte entre les grandes puissances, la laïcité de combat montre sans doute des insuffisances sur le front de la lutte entre factions et classes sociales, lutte liée au développement du capitalisme et de ses contradictions.

 

 

II. laïcité « positive » et tensions sociales

 

Dans sa Critique de la raison politique, Régis Debray croit pouvoir noter qu’aucune communauté ne trouve en elle-même la puissance nécessaire à sa fondation et sa préservation : elle resterait comme inachevée, si ses membres n’acquéraient une identité et un facteur de solidarité dans la relation que chacun est capable d’entretenir, sur la base de la foi ou de la conviction, avec un élément transcendant. Croire en un dieu, avoir la conviction d’un lien privilégié avec une force ou un principe supérieurs, c’est partager un destin commun, reconnaître dans son coreligionnaire un membre de la même communauté, se doter d’une identité collective à la fois spirituelle ou idéologique et territoriale. Seulement, en tant qu’idéologie ou représentation collective, le républicanisme est-il capable de fournir un tel facteur de cohésion sociale, lorsqu’il n’est pas mis en ébullition par la guerre entre les nations ?

 

Dès la fin du xixe siècle, Émile Durkheim pensait pouvoir associer la question sociale en France, c’est-à-dire l’irruption sur la scène politique des factions de la classe ouvrière, à une carence du lien social, un défaut d’organicité dans la communauté nationale causé par l’avènement du capitalisme, de ses centres autonomes et concurrents de production. Si dans ses premières études, il crut repérer dans la division du travail qui se mettait en place dans les nouvelles usines un facteur possible d’intégration et de solidarité, il reconnut rapidement l’insuffisance d’une morale laïque face à la force centrifuge des tensions engendrées par le capitalisme.

 

A la même époque en Allemagne, Max Weber – tel qu’il peut être relu par Marcel Gauchet dans Le Désenchantement du monde [1] – crut de son côté pouvoir enregistrer la montée d’un individualisme menaçant la solidarité sans laquelle une communauté s’achemine vers sa dissolution. Mais cet individualisme lui parut là encore comme le pendant moral de l’avènement du capitalisme. Et plus spécifiquement, de sa rationalité technique et scientifique. Science et technique, dont dépend aussi le développement des forces productives du capitalisme, ont certes accru la domination de l’homme sur la nature. Mais la nature n’est plus alors cette harmonie dont l’homme serait la créature la plus parfaite. Elle est désacralisée, n’est plus qu’un environnement à soumettre pour la survie des individus. Or, là où l’ordre naturel créé par la divinité offrait aux membres de la communauté une identité témoignant et participant de l’infinie perfection de son créateur, l’individu demeure sans pourquoi, sans autre raison d’être que sa fonction et sa réussite sociales. « Je ne suis que mon travail et mes signes extérieurs de richesse ». La belle affaire, voilà l’individu du capitalisme libéré des marchands d’éternité ?! Certes, mais pour Weber plus précisément, le désenchantement du monde laisse l’individu sans « technique de salut ». C’est-à-dire que la morale servant à préparer son âme à l’éternité était édictée par les institutions religieuses qui délivraient ainsi des pratiques et une attitude fondant les croyants en une communauté. L’homme sans espérance du monde désenchanté serait un individu sans moralité collective, donc sans solidarité ni communauté d’appartenance.

 

Durkheim et Weber sont les témoins de l’affirmation prépondérante des rapports sociaux capitalistes et enregistrent les tensions qu’expriment leurs antagonismes fondamentaux. Ils constatent également que les institutions religieuses qui sont refoulées de la scène publique ne contribuent plus à envelopper et à atténuer ces antagonismes. Près d’un siècle plus tard, Régis Debray reproduit leurs évaluations, mais en en faisant la base d’une proposition politique que recueille la « laïcité positive » récemment défendue par le président Sarkozy [2]. Lorsque Debray note le caractère inachevé de toute communauté ne disposant pas d’une source transcendante autour de laquelle s’unifier, il propose – de façon toujours plus explicite – de faire appel aux religions transcendantes, pour colmater les tensions sociales que réactive le nouveau cours des conflits entre vieilles et nouvelles puissances. L’offre adressée aux institutions religieuses d’un retour sur la scène publique, dont le combisme les avait expulsées, n’est qu’une nouvelle confirmation de ce que le jeune Marx pouvait déjà soutenir : la religion est certes « l’opium du peuple », mais dans ce sens que l’indigence religieuse est l’expression d’une misère réelle et indistinctement une protestation rendue impuissante contre cette misère réelle. Protestation certes vaine, mais tout de même significative d’une condition sociale qui a besoin de l’illusion de la religion pour être supportée et dénoncée… pacifiquement. Dès lors l’appel lancé par la pensée politique en faveur d’un regain d’activisme religieux ne fait que rendre explicite l’aveu d’une condition sociale qui réclame encore et à nouveau l’intervention des clergés et plus spécifiquement de la pharmacopée vaticane. L’appel de l’opium témoigne de la persistance des maux et l’Église catholique s’est sans aucun doute préparée à cette offre politique à travers la nomination du cardinal Joseph Aloïs Ratzinger au pontificat.

 

 

III. Des papes européens

 

A la fin des années 90, la communauté chrétienne revendiquait encore près d’1,8 milliard de membres – contre près d’1 milliard pour l’Islam – faisant du christianisme, toutes Églises confondues, la première religion au monde, avec un homme sur trois revendiquant un lien avec le Nouveau Testament. Il semblait alors évident que la sécularisation du christianisme dans les pays occidentaux d’un côté, et de l’autre la dynamique démographique au niveau mondial infléchissaient l’importance des Églises chrétiennes d’Europe au bénéfice de l’Afrique et de l’Amérique Latine. A la mort de Jean-Paul II, les journalistes ont semble-t-il logiquement spéculé sur la couleur et la nationalité de son successeur, supposant une réorientation de l’Église en faveur de ses nouvelles zones de développement. Pourtant, la désignation du cardinal Ratzinger à la papauté a démenti ces spéculations, en confirmant un Européen à la tête de la communauté catholique mondiale. Comment comprendre ce positionnement du Vatican ?

 

Une première remarque s’impose : l’Église chrétienne est une organisation vieille de 2000 ans et l’Église catholique en tant que telle a accumulé un millénaire d’expérience. Elle a survécu à l’effondrement de l’Empire romain, a traversé l’Ancien régime en conservant un enracinement social malgré sa défaite face à la monarchie, a fait face au développement du protestantisme pour finalement se révéler capable de coexister avec la bourgeoisie contre laquelle elle a lutté pendant plus d’un siècle de révolutions, et de franchir deux guerres mondiales. Et si la crise des vocations est indéniable, elle a récemment montré une force de mobilisation en rassemblant, à Paris puis à Rome, un nombre de jeunes dont aucune organisation politique ne peut se prévaloir aujourd’hui en Europe. Il semble dès lors évident que le Vatican inscrit son action dans les temps longs de l’histoire et que ses décisions s’inscrivent dans une véritable stratégie. Nous pouvons donc supposer qu’il ne laisse rien au hasard même si, à l’instar de toute organisation politique, il n’est jamais qu’une volonté conditionnée, un acteur conditionné dans son développement par une situation qu’il ne saurait maîtriser dans sa totalité.

 

Quelques considérations sur les deux derniers papes peuvent aider à prendre la mesure du positionnement stratégique pour lequel a opté le catholicisme. Si la communauté catholique se recentre donc progressivement hors-Europe, l’assemblée cardinalice n’a donc pas retenu cette dynamique et les deux derniers papes qu’elle a choisis l’ont été parmi les cardinaux européens. Pourtant, une véritable mutation a marqué ces deux dernières nominations : pour la première fois depuis le xvie siècle, le pape n’est pas un cardinal italien. D’abord en désignant un cardinal polonais, Karol Wojtyla, puis un cardinal allemand, Joseph Aloïs Ratzinger, l’Église a donc mis fin à près de cinq siècles de monopole italien sur le pontificat.

 

III.a Un pape chez les soviets

 

Explicitement, par l’élection de Wojtyla – qui prendra le nom de Jean-Paul II en hommage à son prédécesseur mort après quelques semaines de règne sur la Curie –, le Vatican a accompagné ce qu’il qualifiait de bataille des démocraties occidentales contre l’influence de l’Union soviétique en Europe de l’Est. Outre des liens étroits avec l’opposition au régime polonais regroupée autour de Solidarnosc, par Wojtyla le Vatican va s’engager activement dans la contestation de la tutelle exercée par Moscou.

 

Ce qui lui permettra de réaffirmer par anticipation la présence du catholicisme dans une zone que l’implosion du régime soviétique va rouvrir à l’influence du christianisme orthodoxe. Après 1989, alors que l’effondrement du « faux socialisme » désengage les pays d’Europe centrale et orientale de l’orbite de Moscou, le Vatican revendique le caractère relativement pacifique de cette « indépendance » et prétend avoir permis que cette « émancipation » survienne sans effusion de sang. Le pape polonais est bien celui de la présence du catholicisme dans une zone d’influence qui sera bataillée entre Russie, Europe occidentale et Etats-Unis et en faisant valoir l’héritage chrétien comme socle identitaire du vieux continent, il prend parti en faveur de l’unification européenne, quelques années seulement après que le tandem V. Giscard – H. Schmidt ait ouvert la voie à la monnaie unique.

 

En parallèle, le pontificat de Jean-Paul II est marqué par un rappel de l’autorité morale des institutions catholiques sur la communauté des croyants : il se prononce contre la contraception, les avortements ou les préservatifs. Ce qui permet au Vatican de proposer une idéologie immédiatement fonctionnelle pour les politiques natalistes, malgré le caractère apparemment rétrograde de ces prises de positions, à un moment où la question démographique devient cruciale pour l’Union européenne. Mais Wojtyla met également un frein à la liberté d’interprétation des textes bibliques par le clergé, et en particulier par les Évêques, dont certains seront excommuniés pour insubordination (Monseigneur Lefèvre à Paris ou des membres de la Théologie de la Libération en Amérique Latine). Wojtyla réaffirme ainsi l’autorité unique du Saint-Siège en matière doctrinal et tente de protéger l’unité de l’Église à travers le rétablissement de sa centralisation.

 

Ce mouvement semble enregistrer une modification majeure dans l’ordre international : avec l’ascension de l’Inde, de la Chine, du Brésil, les tendances à l’intégration en Amérique du Nord avec l’ALENA, en Asie avec l’ASEAN et le forum de Shanghai, ce sont des puissances aux dimensions continentales qui émergent et par conséquent ce sont des acteurs étatiques aux dimensions sans précédents qui s’affirment. Le risque auquel expose l’affaiblissement de l’autorité du Saint-Siège sur les Églises locales est de voir effectivement le catholicisme perdre la taille critique que réclame sa représentation diplomatique internationale. Qu’il ne soit donc plus capable de dialoguer et de s’imposer dans le dialogue avec ces États continentaux. La décentralisation en cours depuis le Concile Vatican II (1962-1965) risquait de fractionner l’Église catholique et ainsi de renvoyer le dialogue entre catholiques et États au niveau d’une négociation nationale à laquelle le catholicisme peut difficilement faire face, au regard de l’affaiblissement de son enracinement social.

 

Dès lors, en réaffirmant l’unicité de la doctrine catholique, il réaffirme le rôle exclusif du Vatican dans tout dialogue des États avec la communauté catholique dont il peut faire valoir le poids global dans ses pourparlers. Il s’agit bien d’un moyen de préserver le rôle privilégié que le Vatican – premier pays en terme de représentation diplomatique, devant les États-Unis et la France – entend jouer depuis l’Europe dans le nouvel ordre mondial.

 

III.b Un pape européen pour l’Allemagne, ...

 

Cette ligne du Vatican qu’il est possible de qualifiée d’européiste est elle-même réaffirmée par l’élection du cardinal Joseph Ratzinger pour succéder à Jean-Paul II. Si, comme nous l’avons indiqué, la communauté catholique mondiale est marquée par un nombre toujours plus important de fidèles en Afrique et en Amérique Latine, le choix d’élire un cardinal Allemand, issu d’une famille juive convertie au christianisme, ayant servi comme la quasi-totalité de sa génération dans l’armée du IIIe Reich, ne peut être perçu que comme un nouveau signe fort de la vocation européenne du Saint-Siège.

 

Avec l’élection de Ratzinger, le Vatican enregistre un bouleversement majeur dans la balance des puissances européennes : la réunification de l’Allemagne et son retour politique sur la scène continentale et internationale, qui sera marqué par les premières interventions militaires de l’armée allemande depuis la Seconde Guerre mondiale, dans les Balkans et en Asie centrale. Par Ratzinger, le Vatican officialise et accompagne la rédemption de l’Allemagne après la Shoah et les guerres européennes et l’appuie dans ce nouveau rôle auquel elle aspire depuis sa réunification.

 

Il n’est pas jusqu’au nom adopté par Ratzinger qui ne soit un symbole européen : le dernier pape ayant adopté le nom de Benoît, Benoît XV, fut le génois Giacomo della Chiesa, qui dirigea le Vatican pendant la période cruciale qui court de 1914 à 1922. Comme son prédécesseur Pie X (Giuseppe Sarto, 1903-1914), Giacomo della Chiesa s’oppose aux communautés de croyants et de prêtres « modernistes » qui revendiquent la possibilité de se prononcer librement sur les questions politiques et sociales, donc indépendamment de la ligne édictée par le Vatican. La centralisation du catholicisme est alors déjà en jeu. Et si della Chiesa mène à son terme une réforme de la curie [3], les nouvelles institutions sont rapidement mises à l’épreuve par le premier conflit mondial.

 

Le Vatican affiche alors un neutralisme aussi bien dans son aide aux victimes de la guerre qu’au cours des nombreuses tentatives de conciliation qu’il met en place. Pourtant, depuis que la « fille aînée de l’Église » a trahi Rome pour la révolution et la laïcité, le Saint-Siège s’est largement rapproché de l’Allemagne et des Empires Centraux. Sans doute est-il après coup possible de voir dans ce rapprochement un des éléments qui justifient en France la réaffirmation de la souveraineté nationale par la rupture des relations diplomatiques en 1904 et la loi de Séparation de décembre 1905. Et finalement, si l’Église présente Benoît XV comme le pape ayant œuvré à la fin de la guerre, il sera tenu à l’écart des négociations de Versailles auxquelles il entendait participer, pour sa collusion avec les perdants, mais aussi parce que l’Entente y voyait une manœuvre de Benoît XV pour imposer l’Église catholique parmi les puissances négociant le nouvel ordre mondial.

 

Si Benoît XV intervint en Europe dans une surreprésentation des intérêts de l’Empire Austro-Hongrois et de l’Allemagne, il est inversement possible de considérer que Benoît XVI intervient en tant que cardinal allemand en faveur de l’Union européenne. Ratzinger a en tout cas voulu s’inscrire dans la lignée des papes européens ayant, selon l’historiographie vaticane, contribué à la pacification du continent et au rôle aussi bien moral que diplomatique de l’Église dans l’unification de la vieille Europe.

 

III.c ... un pape allemand pour l’Europe

 

Encore cardinal, Ratzinger dirigeait la recentralisation de la communauté catholique depuis la Congrégation pour la Doctrine de la Foi dont il était le préfet. Il poursuit aujourd’hui cette entreprise en travaillant notamment au rapprochement avec l’Église orthodoxe. Refusant l’uniformisation des rites sacramentels, le patriarche de Constantinople fut excommunié le 16 juillet 1054, excommunication qui officialisa le schisme d’Orient. Or, le 15 novembre 2007, Benoît XVI et l’actuel patriarche de Constantinople, Bartholomée 1er, se sont mis d’accord sur un texte reconnaissant à Rome la primauté au sein de la hiérarchie chrétienne. Mais pour l’heure, ce rapprochement – annonçant la perspective d’une réunification au moins institutionnelle des deux Églises sous la tutelle de Rome –, concerne exclusivement les Églises orthodoxes de l’Union européenne et de la Méditerranée, n’impliquant pas les orthodoxes russes et ceux placés sous leur responsabilité, japonais et américains. Le Vatican semble donc reprendre la direction d’un christianisme européen.

 

Dans quelle optique ? ériger le christianisme en identité européenne mise à disposition des institutions de Bruxelles et des capitales de l’Union. Ratzinger l’a rendu explicite dans une intervention datée du 12 septembre 2006 [4] :

 

« La rencontre intime qui s’est réalisée entre la foi biblique et les interrogations de la philosophie grecque n’est pas seulement un événement concernant l’histoire des religions, mais un événement décisif pour l’histoire mondiale qui nous concerne aussi aujourd’hui.

 

Quand on considère cette rencontre, on ne s’étonne pas que le christianisme, bien qu’il soit né et ait connu un développement important en Orient, ait finalement trouvé son véritable impact grec en Europe. Nous pouvons aussi dire, à l’inverse : cette rencontre, à laquelle s’est ensuite ajouté l’héritage de Rome, a fait l’Europe et reste au fondement de ce qu’on peut appeler à juste titre l’Europe ».

 

L’ancien cardinal allemand entend donc faire une offre politique à l’Union européenne : alors que les secousses d’une remise en cause du vieil ordre mondial sous l’effet de l’ascension asiatique se font ressentir dans les relations sociales européennes et ne peuvent que s’intensifier dans les décennies à venir, le Vatican met sa pharmacopée au service de la paix sociale européenne. En échange de quoi, l’Union pourrait mettre sa propre force au service du christianisme catholique dans ses zones d’influence, mais aussi en Asie. L’offre recevra-t-elle une réponse favorable ? Pardonnez-moi de terminer sur ces mots prononcés par N. Sarkozy au Latran, mais ils sont sans doute un élément de réponse : « La France a besoin de croire à nouveau qu’elle n’a pas à subir l’avenir, parce qu’elle a à le construire. C’est pourquoi elle a besoin du témoignage de ceux qui, portés par une espérance qui les dépasse, se remettent en route chaque matin pour construire un monde plus juste et plus généreux. J’ai offert ce matin au Saint Père deux éditions originales de Bernanos. Permettez-moi de conclure avec lui : « L’avenir est quelque chose qui se surmonte. On ne subit pas l’avenir, on le fait […]. L’optimisme est une fausse espérance à l’usage des lâches […]. L’espérance est une vertu, une détermination héroïque de l’âme. La plus haute forme de l’espérance, c’est le désespoir surmonté ». Comme je comprends l’attachement du pape à ce grand écrivain qu’est Bernanos ! Partout où vous agirez, dans les banlieues, dans les institutions, auprès des jeunes, dans le dialogue interreligieux, dans les universités, je vous soutiendrai. La France a besoin de votre générosité, de votre courage, de votre espérance ».

 

La « laïcité positive » récemment suggérée par la France semble inviter les religions institutionnalisées à reprendre leur place sur la scène publique. Reste à voir si le consensus s’établira au niveau européen autour, paradoxalement, de la proposition française.

 

*

Notes

[1] Marcel Gauchet, Le Désenchantement du monde, Paris, 1985 : « la désertion des enchanteurs, la disparition du peuple des influences et des ombres sont le signe de surface d’une révolution autrement plus profonde dans les rapports entre ciel et terre, révolution au travers de laquelle il y va décisivement de la reconstruction du séjour des hommes à part de la dépendance divine ».

 

[2] Dans son discours au Latran du 20 décembre 2007, le président Sarkozy a déclaré que : « Depuis le siècle des Lumières, l’Europe a expérimenté beaucoup d’idéologies. Elle a mis successivement ses espoirs dans l’émancipation des individus, dans la démocratie, dans le progrès technique, dans l’amélioration des conditions économiques et sociales, dans la morale laïque. Elle s’est fourvoyée gravement dans le communisme et dans le nazisme. Aucune de ces différentes perspectives – que je ne mets évidemment pas sur le même plan – n’a été en mesure de combler le besoin profond des hommes et des femmes de trouver un sens à l’existence. […] Les facilités matérielles de plus en plus grandes qui sont celles des pays développés, la frénésie de consommation, l’accumulation de biens, soulignent chaque jour davantage l’aspiration profonde des femmes et des hommes à une dimension qui les dépasse, car moins que jamais elles ne la comblent ».

 

[3] Il promulgue en 1917, dans le sens de cette centralisation, la première réforme du droit canonique intervenue depuis la publication du Corpus iuris canonici... en 1580.

 

[4] « Le discours de Ratisbonne ».

 

mardi 26 février 2008, par Patrick Gaud

 

 



15/04/2011
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