LE PAS DESESPERE
LE PAS DESESPERE
C’est quand on est anéanti par le doute, assailli par le désespoir, abattu par le découragement, éreinté par la fatigue, envahi par la langueur, qu’il faut faire le pas désespéré ; oui c’est le pas qui vient clore sans bruit, comme pour ne rien signifier, en vain besogne croirait-on, la longue et pénible série de pas plein d’espoir restés stériles. Ce pas désespéré, c’est lui qui ouvre à la vie tant espéré, qui fait sauter l’obstacle tant redoutée, qui découvre aux yeux l’oasis jusqu’alors non aperçu, qui rapproche les cris de S.O.S. aux oreilles messianiques.
C’est quand tu ne sens plus tes membres, quand tout s’effondre autour de toi même la canne qui te retenait debout, quand les yeux trahissent et font courir inutilement les pieds déjà ébouriffés, quand les bras sont las à abaisser les mains vers l’objet de consolation à ramasser, quand la tête te tourne et te fait voir trois arbres en un, trois obstacles en une, et te fait enfin rebrousser chemin ; c’est le moment de lancer ce cri désespéré qui amplifie les anciens pleins d’espoir qui ont tous déçu. Oui c’est ce cri désespéré qui fait frémir les bourreaux, qui attire l’attention – qui sait, la pitié – des derniers passants du crépuscule, c’est le cri qui adoucit les nuques raidies par les aléas du temps, qui te fait entrer dans tes droits et te fait accepter voire aimer s’il est assez fort.
Le pas désespéré, fais le même s’il te coûte tout ton saoul, même si les raisons de le faire semblent n’avoir plus de sens. Fais le quand même, fais le en pensant à ceux qui t’aiment, qui espèrent toujours que tu feras surface, qui te tendent la main rayonnante d’espoir ; même si personne ne t’attend, ne t’aime, pense à ceux qui sont dans le même trépas que toi et donne leur le ton. Mais sache que tu dois le faire, ce pas désespéré car même si tu crois que personne ne t’aime, il y a en au moins qui t’ont vu passer et tournés pour te revoir, ils n’aperçoivent rien car tu es demeuré embourbé : lève toi et ils souriront ; même si personne ne t’a remarqué quand tu passais, il y a en qui t’ont vu venir et brusquement ne t’aperçoivent plus, lève toi, fais le pas désespéré, rien que pour assouvir leur noble curiosité ; ce serait de ta part charité !
Romain SEMENOU