Quelle démocratie pour l'Afrique? Pourquoi pas une un e africratie?
La démocratie ! Oui démocratie, un terme générique bien galvaudé. Les souvenirs des années 90 où se déclencha la propagande démocratique sont encore frais. Le mot était sur toutes les lèvres : « nous sommes en démocratie non ! » objectait aussi bien le petit enfant à son frère qui le brimait, que le vieil oncle, presque saoul à qui on refusait un énième verre. Le mot démocratie était indéniablement connu et prisé ; mais son acception et sa connotation notionnelles, ses déterminants et implications étaient hélas ignorés. C’est dans un tel contexte que le vent de la démocratie a soufflé sur l’Afrique, bientôt deux décennies déjà. Le bilan de ce parcours n’est guère un motif de fierté pour l’Afrique. Aussi naît la pertinente interrogation : quelle démocratie pour l’Afrique ? A cette interrogation, nous proposons un essai de réponse qui soldera en premier lieu cette série de questions : qu’est-ce-que la démocratie ? Quels en sont les principes fondamentaux ? Pourquoi la démocratie échoue en Afrique ?
Définition et principes fondamentaux de la démocratie
La définition élémentaire empruntée au président américain Abraham LINCOLN[1], retient que la démocratie est « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Cette définition polarisée sur les deux mots grecs – dêmos : peuple et kratein : gouverner – qui assument l’étymologie du terme démocratie, met en exergue le fait que la démocratie est un système de gouvernement dans lequel la souveraineté émane du peuple. Ainsi dans la démocratie, c’est le peuple qui est souverain et les dirigeants politiques gouvernent par délégation de souveraineté.
La démocratie suppose des principes fondamentaux : l’Etat de droit, la séparation et l’équilibre des pouvoirs, le suffrage universel (reconnaissance du droit de vote à tous), des élections libres et pluralistes.
Causes de l’échec de la démocratie en Afrique
Depuis 1990, 35 des 48 Etats de l’Afrique subsaharienne ont connu des élections multipartistes, qui sonnèrent le glas du pèlerinage démocratique. Comment alors comprendre que la démocratie est demeurée embryonnaire en Afrique ? D’abord notons que les Etats africains au lendemain des indépendances avaient adopté comme constitution-type, celle de la Métropole coloniale sevrée de son contexte. Cet état de chose a sapé les bases élémentaires d’une vraie démocratie, en sacrifiant le pouvoir du peuple à la cause de la création de l’Etat-nation. Puis les pères de la nation en place à l’heure de la démocratisation qui devrait passer par le multipartisme, l’ont perçu comme une ingratitude et une trahison du peuple. Ils manifestèrent donc de la résistance à libéraliser et à partager le pouvoir. Enfin la démocratie qui est participation de la majorité, n’a trouvé en Afrique qu’un peuple dont la majorité sait à peine lire et écrire. Comment ce peuple pouvait-il faire montre de rationalité politique?
Certes l’échec de la démocratie en Afrique est avéré, cependant la problématique d’une démocratie africaine persiste et initie une interrogation : la démocratie n-a-t-elle pas échouée en Afrique parce qu’elle ne répondait pas, dans sa forme traditionnelle, aux réalités africaines ?
Les défis de l'africanisation de la démocratie
En effet « l’universalité de la démocratie ne conditionne pas l’universalité des institutions ».[2] Les institutions doivent répondre aux exigences propres de chaque société, par la conjugaison de l’histoire, de la géographie, de la culture, du niveau de développement du pays concerné. La démocratie au sens universel, n’est pas problématique en Afrique, puisque les Africains désirent et revendiquent de tout temps l’Etat de droit. Le travail qui reste à abattre se situe à deux volets : la formation de la population à la démocratie et une inculturation africaine de la démocratie.
La démocratie exige une éducation permanente. En Afrique, plus qu’ailleurs, où la perception du pouvoir rime avec coup d’état, dictature et force militaire, la formation à la démocratie devient une impérieuse nécessité. Former à la démocratie, oui ! Mais à quelle démocratie ?
Les institutions démocratiques en Afrique reposent, dans leur fonctionnement, sur un héritage éthique et culturel qui hypothèque leur efficacité au sein d’un Etat moderne. L’inculturation de la démocratie consistera à libérer les institutions africaines des relents culturels, éthiques et historiques typiquement propres aux Métropoles coloniales. Avant la colonisation, l’Afrique était dotée d’un système de gestion socio-politique efficace et conforme aux réalités africaines. Les grands royaumes du Dahomey, des Ashantis, des Gins, des Mossis, des Zoulous en témoignent. Ses valeurs, après actualisation, doivent être prises en compte dans la conception et l’élaboration d’institutions démocratiques réellement africaines. Les exemples de pays ayant un système politique démocratique qui intègre leur histoire, leur culture, la mentalité de la population ne manquent point. Le Royaume Uni, la Belgique, ou l’Espagne sont des pays démocratiques avec une monarchie et un premier ministre chargé de l’exécutif ; des pays comme l’Italie, la France, les Etats-Unis ont un président de la République. Mais tous ces pays ont une démocratie à leur couleur. La démocratie est une théorie constitutionnelle, susceptible concrètement de nombreuses variantes.
Le contexte actuel de mondialisation dénie à l’Afrique tout droit de renoncer à la démocratie. La seule option salutaire est une appropriation africaine de la démocratie. L’analphabétisme et la léthargie politique de la population qui a été trop de fois trahie ne contribuent pas à l’émergence d’une réelle démocratie en Afrique. Toutefois point de fatalisme ni de scepticisme, la démocratie est bel et bien possible en Afrique. Il suffit de l’actualiser en concordance aux réalités africaines. D’où l’urgence d’une africanisation de la démocratie. Les talents ne font pas défaut ; le blocus se chiffre plutôt en manque de volonté des puissances politiques en place, qui n’ont d’énergie à dépenser que pour se maintenir au pouvoir, quitte à sacrifier des vies humaines. Et si nous nous arrêtons de parler de démocratie pour initier un terme neuf comme africratie[3], qui viendrait – l’espoir reste permis – exorciser les dirigeants africains de leur phobie de la démocratie.
[1] Abraham LINCOLN (1809 – 1865), Discours de Gettysburg, 1863 // Il est le 16ème président américain et l’histoire retient de lui qu’il a aboli l’esclavage.
[2] Abd-El Kader Boye, "Some Important Problems and Aspects of Democracy in the Context of Black
African States" in Inter-Parliamentary Union, 1998.Geneva:37-46.
[3] Africratie, un néologisme que nous formons à partir du mot français Afrique et du mot grec kratein, pour dire gouvernement à l’africaine.