Eglise catholique au Togo : blog d'un prêtre de Lomé !

Dogme: traité de la créeation à l'africaine

Traité de la création, perspective d'inculturation!

INTRODUCTION

De tout temps et en tout lieu, l’homme s’interroge  sur son origine et sa destinée. Qui suis-je ? D’où est ce que je viens ? Pourquoi suis-je là ? Où irai-je après et pourquoi ? Voilà autant de questions existentielles auxquelles chacun cherche une réponse et auxquelles plusieurs ont apporté des tentatives de solutions. Ainsi remarquons-nous dans tous les peuples, des histoires, des contes, des mythes, des chants… qui sont porteurs d’un sens caché à découvrir dans un lustre de détail. Dans notre étude, nous nous intéresserons au peuple Ewé du Grand Kloto, auquel nous appartenons, pour voir ce qu’il dit de la création quant à son origine, à son auteur, au rôle des intermédiaires dans cette œuvre, à l’action du Créateur dans la suite du processus.

            Pour ce faire, nous avons opté scruter les mythes pour en recueillir et décrypter les messages, les codes cachés qui sont autant de tentatives soutenues de présentation et d’explication de la création. Après avoir présenté notre milieu culturel et fait quelques précisions terminologiques, nous allons répertorier les mythes qui vont servir de tremplin pour notre investigation, qui se fera sur deux fronts : d’une part, l’analyse et l’interprétation des mythes et, de l’autre une confrontation avec la doctrine chrétienne pour en tirer de bons fruits en vue d’une vie plus accomplie selon le projet de Dieu sur sa création.

 

 

  1. I.                   Présentation du milieu

1.1. Situation géographique

Le grand Kloto, partie Ouest du diocèse de Kpalimé, se situe dans la région des plateaux. Il regroupe les préfectures de Kloto, d’Agou, de Kpélé-Akata et de Danyi. Il est situé au Sud-ouest du Togo et limité à l’Ouest par le Ghana, à l’Est par les préfectures de Haho et du Zio, au Nord par les préfectures de Wawa et d’Amou dans le diocèse d’Atakpamé et au Sud par la préfecture de l’Avé dans l’archidiocèse de Lomé.

 

1.2. Les différents composants

Le grand Kloto est composé des Ewé autochtones formant aujourd’hui des divers cantons qu’on peut regrouper sous ces noms : les Agou, les Agotimé, les Kati, les Tové, les Agomé, les Fiokpo, les Hanyigba, les Kuma, les Kamétonou, les Yokélé, les Kpimé, les Lavié, les Akata, les Kpélé, les Danyi et les Yikpa.

Il y a aussi les Ahlon qui constituent une ethnie autochtone mais minoritaire. A ces divers groupes s’ajoutent d’autres populations allochtones : les Kabyè, les Nawdba, les Kotokoli, les Haoussa, les Nago.

 

 

  1. II.                Les différents mythes de la création

2.1. Qu’est-ce qu’un mythe ?

Mythe vient de « mythos » en grec traduit par ‘mythus’ en latin pour dire « récit, fable, crime affreux, être odieux ». Les mythes sont alors des fables populaires dont les thèmes tournent autour de l’origine du monde, de l’homme, de la vie, du sens de la mort, etc. On peut faire une double lecture d’un mythe : d’une part, en tant que fable, invention imaginaire souvent pleine d’invraisemblance et n’ayant aucune valeur de vérité ; d’autre part, en tant qu’expression de la vie humaine, il a une vérité de ‘signification’, celle de nous livrer quelque chose de l’homme de ce temps et de tous les temps. Et c’est ce dernier aspect qui nous intéresse ici. Nous pouvons nous résumer en disant que « le mot mythe désigne, comme cela est devenu habituel en histoire des religions, les récits poétiques et symboliques révélant le sens profond de la création et de l’existence. »[1] L’utilité des mythes se trouve en ceci qu’ils se réfèrent toujours à l’origine première du monde, de la vie, de l’humanité qu’ils décrivent à partir des expériences quotidiennes de l’existence.

 

2.2. Les récits de mythes

 

Mythe I

Au commencement (gmedzedze), quand Dieu (Mawu) a créé le monde (Xexeme) et les hommes (ame), il est resté avec les hommes qui allaient le saluer le matin (ŋdi) et le soir (fiɛ). Mais il leur avait fait une seule interdiction, celle de ne pas le toucher lorsqu’ils ont les mains sales après avoir mangé.

Un jour, pourtant, une femme ayant fini de manger et sans s’être lavée les mains, est allée toucher Dieu qui s’est éloigné dans le ciel jusqu’à disparaître aux yeux des hommes. C’est ainsi que Dieu est devenu invisible et très lointain pour les hommes qui doivent passer par des intermédiaires pour l’atteindre.

 

Mythe II

Dans les débuts de la création, le ciel était si proche de la terre que le pilon des femmes le cognait sans cesse. Les hommes avaient pris l’habitude d’essuyer leurs mains sales contre le ciel après avoir mangé les plats huileux ou satisfait leurs besoins naturels. Ils poussaient même l’audace de découper régulièrement des morceaux de ciel pour préparer leur repas. Irrité par de tels comportements, Dieu (Mawu) s’éloigna avec sa demeure dans les hauteurs, dans le ciel. Ainsi fut séparé le ciel de la terre.

 

Mythe III

Dieu (Mawu), le propriétaire du ciel (Dzifo), créa l’univers (xexeme). Il plaça une grande calebasse (tre) dont le fond est la terre (anyigba) et le couvercle le ciel (dzifo). Ensuite il fit les hommes, les animaux, les végétaux et il vivait parmi eux. Un jour en raison de la méchanceté des hommes, Dieu se retira au ciel. Mais comme il est plein de vertu, il fit des esprits pour garder le contact avec eux.

 

Mythe IV

L’homme est créé à « bome » par le « se » ou « Mawugã », le Dieu Suprême avec la collaboration du « dzt » qui lui apporte de l’argile pour modeler le corps humain.

 

Mythe V

L’homme vient de « Bome » ou « Boƒe » ou « dzɔƒe », lieu où habitent les êtres (esprits-âmes). Tous les habitants vivent en état de petit enfant. Leur mère commune est « Bomenᴐ ». Celle-ci n’enfante pas et n’a pas d’époux. Cependant, elle façonne autant d’enfants qu’elle désire avec de l’argile. « Mawu » est le Créateur et est à l’origine de Bomen, des esprits et du Cosmos. Avant d’envoyer quelqu’un sur cette terre « Kodzogbe », Bomenᴐ lui prévoie son conjoint « Dzɔgbemetsui » ou sa conjointe « Dzɔgbemesi ». Si les deux arrivent à se rencontrer dans ce monde, ils forment un couple heureux. Avant de concevoir, chaque femme a l’obligation de demander permission à Bomenᴐ, et sur sa permission qu’une mère conçoit. Tout homme avant de venir sur cette terre (Kodzogbe), prête serment de fidélité à  Gbetsi, son porte parole devant Bomenᴐ. Sa vie sur cette terre est régie par Gbetsi ; Après cette prestation de serment, Aklama ou Dzgbe intervient pour l’introduire dans Kodzogbe suivant son jour de naissance (Dzgbe ŋkeke). Aklama protège l’homme sur tous ses chemins.


 

III. Analyse des mythes

3.1. Le Créateur

                  3.1.1. Sa Personne

En analysant tous les mythes dont nous disposons, le nom de Dieu qui se dégage clairement et distinctement est « Mawu ». Ceci est remarquable dans les lignes suivantes : « Au commencement (gmedzedze), quand Dieu (Mawu) a créé le monde (Xexeme) » (Mythe I, ligne1) ; « … Dieu (Mawu) s’éloigna avec sa demeure … » (Mythe II, ligne 5) ; « Dieu (Mawu), le propriétaire du ciel (Dzifo), créa l’univers (xexeme). » (Mythe III, ligne 1) ; « L’homme est créé à « bome » par le « se » ou « Mawugã », le Dieu Suprême …» (Mythe IV, ligne 1) ; « Mawu  est le créateur et est à l’origine de Bomen, des esprits et du Cosmos » (Mythe V, ligne 3-4).

Une analyse étymologique du nom « Mawu » révèle que ce terme est susceptible de plusieurs interprétations possibles dont voici quelques unes :

-                     L’interprétation la plus commune et la plus subjective de Mawu viendrait de l’adjonction de la négation ‘ma’ (ne pas) au verbe ‘wu’ (dépasser). En ce sens, Mawu serait le Dieu suprême et insurpassable, celui qui domine tous les êtres et ne dépend d’aucun d’eux.

-                     Une autre interprétation, s’appuierait sur  l’adjonction de la négation ‘ma’ (ne pas) au verbe ‘wu’ (tuer) indiquant que, Dieu est celui qui ne tue pas. Etant l’auteur de la vie, il en est aussi le protecteur par excellence, et c’est ce titre qui le distingue des ‘Tr qui eux, peuvent provoquer la mort de ceux qui leur manquent d’égard.

-                     Une troisième interprétation relative à la deuxième, indique que Dieu est celui qu’on ne peut tuer. Effectivement, il est inconcevable pour un Ewé du Grand Kloto que l’on parle de la mort de Dieu, puisque cette mort entraînerait inéluctablement l’anéantissement du monde.

Remarquons que, de la conception qu’on a de ‘Mawu’, découlent ses qualités ou attributs qui sont très visibles dans les mythes relatés.

 

3.1.2. Ses qualités

-          Immanence

‘Mawu’ entretient une proximité et une bonne relation de familiarité avec les hommes et la nature. C’est un Dieu bon qui veut une humanité soucieuse de vivre dans son intimité. C’est ainsi que dans le Mythe I, ligne 2, nous lisons : « il est resté avec les hommes qui allaient le saluer le matin (ŋdi) et le soir (fiɛ) » (ici, la relation d’harmonie entre l’homme et Dieu est même ritualisée : saluer Dieu le matin et le soir en signe d’adoration est une sorte d’hommage ou de reconnaissance à Dieu pour le don de la vie et de la journée) ; dans le Mythe II, ligne 1 : « Dans les débuts de la création, le ciel était si proche de la terre » ; dans le Mythe III, ligne 3 : « il fit les hommes, les animaux, les végétaux et il vivait parmi eux ».

 

-          Le problème du mal

Si Dieu entretient une telle intimité avec les hommes au début de la création, comment expliquer le fait qu’aujourd’hui, il soit considéré comme si lointain qu’il faille passer par des intermédiaires pour l’atteindre ?

Les mythes nous révèlent une idée de transgression d’une loi donnée par Dieu pour régir la création. En effet, « il leur avait fait une seule interdiction, celle de ne pas le toucher lorsqu’ils ont les mains sales après avoir mangé » (Mythe I, ligne 2-3). Cependant, « une femme ayant fini de manger et sans s’être lavée les mains, est allée toucher Dieu » (Mythe I, ligne 5). En outre, « Les hommes avaient pris l’habitude d’essuyer leurs mains sales contre le ciel après avoir mangé les plats huileux ou satisfait leurs besoins naturels. Ils poussaient même l’audace de découper régulièrement des morceaux de ciel pour préparer leur repas. » (Mythe II, ligne 2-4). Enfin, « en raison de la méchanceté des hommes, Dieu se retira au ciel » (Mythe III, ligne 3). L’homme est donc à la base de la modification de l’état originel de la création où la proximité de Dieu était manifeste.

 

-          Transcendance

L’attribut majeur et quasi exclusif qui qualifie Dieu aujourd’hui dans notre milieu d’étude, est sans nul doute sa transcendance. La transgression de la loi divine se présente comme un voile qui cache la face de Dieu aux hommes : « Dieu (…) s’est éloigné dans le ciel jusqu’à disparaître aux yeux des hommes. C’est ainsi que Dieu est devenu invisible et très lointain pour les hommes qui doivent passer par des intermédiaires pour l’atteindre » (Mythe I, ligne 6-8) ; « Irrité par de tels comportements, Dieu (Mawu) s’éloigna avec sa demeure dans les hauteurs, dans le ciel » (Mythe II, ligne 4-5) ; « Dieu se retira au ciel »[2] (Mythe III, ligne 3) ; « ‘Mawu ’ est le créateur et est à l’origine de Bomenɔ, des esprits et du Cosmos » (Mythe V, ligne 3-4).

Par rapport à l’inaccessibilité de Dieu, un certain nombre de faits le soulignent dans le milieu : nulle part dans notre aire culturelle, on ne peut trouver une représentation de ‘Mawu’, il n’a pas non plus de culte particulier ni de lieu sacré qui lui soit réservé sauf quelques rares exceptions.

En guise de conclusion partielle, notons que, dans la mentalité traditionnelle Ewé du grand Kloto, ‘Mawu’ est un Être invisible, immuable, immortel, tout puissant (‘ᴆegbe ŋke’, ‘ŋusewo katã Tɔ’…), très bon (en témoigne des noms théophores : ‘Wɔlanyo’, ‘Mawunyo’ = le Créateur/Dieu est bon…), d’une grandeur insurpassable ; et c’est parce qu’il se trouve à l’origine de tout ce qui existe qu’on ne saurait établir de comparaison entre lui et les autres êtres. Il est la référence ultime, celui  qui n’a pas besoin des autres pour exister mais il dirige le monde par l’intermédiaire des esprits qu’il a créés.

 

3.2. Les intermédiaires

3.2.1. Ceux qui ont collaboré à la création de l’homme

Il s’agit de ‘Bomenɔ’, « leur mère commune (qui) n’enfante pas et n’a pas d’époux. Cependant, elle façonne autant d’enfants qu’elle désire avec de l’argile » (Mythe V, ligne 2-3) et du ‘Dzɔtɔ’ : « L’homme est créé à « bome » par le « se » ou « Mawugã », le Dieu Suprême avec la collaboration du « dzɔtɔ » qui lui apporte de l’argile pour modeler le corps humain » (Mythe IV). Ces intermédiaires ne sont pas des co-créateurs mais des collaborateurs à la création. A travers leurs apports, se dégagent deux conceptions : d’une part, l’idée d’une préexistence de l’homme en état spirituel d’enfant à Bome. L’homme est donc un esprit incarné ou encore un corps spirituel. Et d’autre part, l’idée d’une prédestination ‘se’ assimilé parfois à Dieu (cf. Mythe IV).

 

3.2.2. Les messagers et autres esprits

‘Gbetsi’ : porte-parole de l’homme devant ‘Bomenɔ’. La vie que l’homme mène dans ce monde dépend du serment qu’il a prêté à ‘Gbetsi’. C’est lui qui scelle son destin. Nous voyons là une idée de prédestination comme souligné plus haut. (cf. Mythe V, ligne 9-10)

‘Aklama’ : « Après cette prestation de serment, ‘Aklama’ ou ‘Dzɔgbe’ intervient pour l’introduire dans ‘Kodzogbe’ (la terre) suivant son jour de naissance (Dzɔgbe ŋkeke). ‘Aklama’ protège l’homme sur tous ses chemins » (Mythe V, ligne10-12), et lui procure la chance et le bonheur.

Les mythes I et III parlent des intermédiaires qui interviennent dans le domaine relationnel de Dieu avec l’homme. Ils sont des canaux qui maintiennent la relation originelle perdue.

A part ces esprits relatés dans les mythes que nous traitons, le monde des esprits regorge d’autres réalités comme : les ‘Trɔ’, les ‘Tɔgbui’ (ancêtres), les ‘Agɛ’ (génies)…

Il y a deux sortes de ‘Trɔ’ : ‘Tɔgbui Trɔ’ qui sont bons et bénéfiques et les ‘Dzosi Trɔ’ qui sont mauvais, maléfiques voire même homicides. C’est une réalité que ‘dzoka’ (gris-gris) détruit nos croyances ancestrales aujourd’hui et ceux qui se livrent à ces pratiques, n’ont pas une vie épanouie. Ils décèdent tôt dans des conditions déplorables. Voilà pourquoi il est vivement déconseillé aux jeunes de se livrer à ces activités occultes.

 

     3.3. Relation homme-environnement

     3.3.1. Relation de l’homme à l’homme

La relation entre les hommes est régie par la solidarité, la convivialité et l’accomplissement de leur devoir envers le Créateur : restés ensemble, ils allaient le saluer (cf. Mythe I). Concernant la relation entre l’homme et la femme, c’est une harmonie prédéterminée. Dieu crée toujours en couple. Il prévoit à chacun sa conjointe (Dzɔgbemesi) et à chacune son conjoint (Dzɔgbemetsui). Le désordre serait alors la non-conformité à cette harmonie préétablie.

 

            3.3.2. Relation de l’homme à la nature

La relation entre l’homme et Dieu a joué un rôle considérable dans la relation homme-nature. Par sa méchanceté, l’homme a introduit un désordre dans la nature. Nous assistons à une modification spatiale de la carte de l’univers : « le ciel s’est retiré » (Mythe III). L’harmonie entre le ciel et la terre est rompue car l’homme a fait une mauvaise gestion de la nature : ‘leurs pilons cognaient le ciel… ils coupaient des morceaux de ciel pour préparer…’ (cf. Mythe II).

Les Ewé du Grand Kloto ont deux conceptions du monde :

-                     Le monde a une forme sphérique, celle « d’une grande calebasse dont le fond est la terre et le couvercle le ciel » (Mythe III). Cet univers ne se limite pas au monde visible mais aussi au monde invisible : « le ciel s’est éloigné jusqu’à disparaître aux yeux des hommes et est devenu invisible et très lointain pour les hommes » (Mythe I).

-                     L’univers est en perpétuel devenir. Le monde créé n’est pas statique et figé. Il est changeant, soumis au mouvement et à une modification spatiale  permanente.

Toutefois, les Ewé du Grand Kloto ont un profond respect voire une vénération pour la nature d’où à première vue une fausse accusation de mânisme et d’animisme[3]. Il n’est pas chose rare de voir un homme demander pardon à un arbre avant de le couper pour une nécessité avérée ; les forêts sacrées abondaient de même que les rivières sacrées ; la chasse était disciplinée et subordonnée exclusivement à la survie de l’homme ; on observe aussi un jour de repos obligatoire – sous peine de sanctions physiques ou spirituelles – avec cessation des activités champêtres nommé ‘afenɛgbe’ qui suit un cycle de 4 ou 5  jours. C’est une sorte de Sabbat qui n’est pas à jour fixe.

 

            IV. Confrontation avec la doctrine chrétienne

            La doctrine chrétienne sur la création s’est élaborée progressivement sur la base des Ecritures Saintes qui utilisent aussi des mythes, des images et des genres littéraires. Nous allons procéder à une comparaison qui tiendra compte aussi bien des aspects purement scripturaires et textuels que des aspects doctrinaux qui vont considérer les systématisations et des élaborations.

 

 

 

            4.1. Tableau comparatif

 

 

CONCEPTS

CULTURE EVE DU GRAND KLOTO

DOCTRINE CATHOLIQUE

CREATEUR

Monothéisme

MAWU : Transcendance

Immanence[4]

Monothéisme

Dieu-Trinité : Transcendance et présence active

CREATION

Durée : non déterminée

un commencement

Pas d’appréciation de la création

Collaborateurs (Bomenɔ, dzɔtɔ)

Glaise du sol

Homme et femme

Deux dimensions : corporelle  (ŋtilã) et spirituelle (gbɔgbɔ, luʋɔ)

Existence d’une loi naturelle

6 jours

Idem

Appréciation (l’œuvre est bonne)

Pas de collaboration

 

Idem

Idem

Corps, âme et esprit

 

 

Idem

CREATURES INVISIBLES

 

Aklama

 

 

Dzotrɔ

 

Anges gardiens

 

 

Démons

 

 

 

 

 

 

 

RELATION A DIEU

Désobéissance des hommes

Eloignement de Dieu

 

 

Médiation (des esprits et des ancêtres)

 

 

Dépendance totale de la créature

Dieu continue par agir dans la créature

Pas de Révélation

Pas de Rédemption

Désobéissance des hommes

Détérioration de la relation avec Dieu (expulsion de l’homme)

Médiation (Prophètes, Rois, Prêtres, Jésus le seul Grand Prêtre, l’unique Médiateur ; les Saints)

Idem

 

Idem

 

Révélation

Rédemption

 

 

4.2.            Commentaire

D’entrée de jeu, précisons que cet exercice est une gageure car la théologie chrétienne catholique est fondée sur des bases solides alors qu’au niveau de la culture Ewé du Grand Kloto, nous sommes à des balbutiements et c’est avec beaucoup de réserves qu’on peut parler d’une doctrine ‘théologique’ élaborée. Nous nous baserons alors en grande partie sur les analyses faites des mythes dans la troisième partie de notre texte.

 

 

                        *Distinction du Créateur et de la créature

Sur ce point, la ressemblance est frappante. Les Ewé du Grand Kloto ne font pas de confusion entre Dieu et ses créatures. Toutefois, au niveau de l’acte créateur, la doctrine chrétienne a atteint un sommet insoupçonné. Du récit de la Genèse, nous sommes parvenus à la création ex nihilo. Dieu crée à partir de rien grâce à sa volonté et à sa parole qui porte en elle-même une puissance active. De plus, Dieu n’a pas une réserve de ‘petits enfants’ qu’il enverrait dans le monde successivement comme le suggère le Mythe V avec ‘Bomenɔ’. Chaque être humain est créé corps, âme et esprit dans un seul mouvement de la pensée divine.

Un autre aspect non négligeable est la liberté de la créature par rapport à Dieu. Alors que dans la doctrine chrétienne, la spécificité du Créateur se remarque dans la liberté absolue qu’il accorde à sa créature, nous assistons dans la culture Ewé du Grand Kloto à une sorte de fatalité ‘se’, un genre de déterminisme qu’il faut respecter absolument pour avoir le bonheur sur terre et même dans le monde des ancêtres. Toutefois, la liberté du chrétien ne se comprend pas et ne se vit pas en dehors d’une sage discipline contenue dans le décalogue, les dix paroles, qui restent gravées dans le cœur de chaque homme. C’est ce que nous appelons loi naturelle, et que les Ewé aussi connaissent intuitivement.

 

                        *Relation de causalité entre le Créateur et la créature

L’Ewé du grand Kloto se reconnaît en dépendance totale par rapport au Créateur. Etant strictement monothéiste et ignorant la notion de Trinité, il lui manque l’aspect personnel et trinitaire de sa dépendance. Il n’a connu ni la Révélation ni la Rédemption offerte par le Christ. Cela se voit dans ses cultes qui restent encore à l’étape du sacrifice des animaux pour s’attirer la faveur divine par l’intercession des bons esprits et des ancêtres qui seraient plus proches de Dieu.

Ceci est un point essentiel, une carence que l’évangélisation doit combler afin de mener le chrétien du Grand Kloto ou tout homme de bonne volonté à la connaissance de la Bonne Nouvelle du salut apportée par le Christ, Agneau de Dieu immolé pour le rachat du monde.

 

                        *Manifestation de Dieu à sa création

Le Christ est l’origine, le sommet et l’achèvement de la création. « Tout est créé par lui, pour lui, avec lui et en lui » (Col 1, 16). Il est le seul Médiateur entre Dieu et les hommes. Il y a plus de deux mille ans qu’il a pris chair de la Vierge Marie pour vivre parmi les hommes en terre palestinienne selon la promesse faite dans le Paradis après la chute, promesse répercutée par les prophètes jusqu’à sa réalisation. Dans le christianisme, l’homme fait une expérience personnelle de Dieu qui se laisse toucher par sa créature. Il en fait même un partenaire privilégié à qui il donne des droits et un héritage commun avec son Fils.

Dans la mentalité de l’homme du Grand Kloto, cette idée serait un blasphème. Dieu est purement et simplement inaccessible et absent du quotidien des hommes.

 

 

CONCLUSION

 

            Au terme de notre parcours, nous pouvons retenir avec grand intérêt que les mythes de la création sont d’une richesse insoupçonnée qui n’est autre qu’un dévoilement de la sagesse cachée de tous les peuples dans le temps et l’espace. Ils nous transmettent des messages et se veulent porteurs de clé pour sortir de l’angoisse qui étreint les hommes devant des questions lancinantes et sans réponse. Après avoir ausculté quelques uns relatifs à la création dans l’aire culturelle Ewé du Grand Kloto, nous remarquons que le Créateur est Mawu, le Dieu Suprême, qui est providence de toute la création. C’est vers lui que tous les êtres se tournent dans toutes les situations de la vie comme Source et comme Celui qui détient la destinée de tous dans ses mains. Il est tout-puissant et si élevé qu’il ne rejoint l’homme et n’est rejoint par celui-ci que par les esprits et les Ancêtres qui servent d’intermédiaires entre lui et la création dans les deux sens. La foi en Jésus Christ vient appeler l’homme du Grand Kloto à un dépassement.

Saurions-nous être attentifs à sa présence active et agissante dans sa création ? Saurions-nous faire le pas qualitatif vers la filiation divine ? Saurions-nous allez à l’aventure avec la confiance en un Dieu qui est plus intime à nous-mêmes que nous-mêmes ? Saurions-nous redire ces paroles si lourdes de conséquences : ‘Père, que ton règne arrive et que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel’ (cf. Mt 6, 10) ?

Un groupe d'étudiants

 



[1] Théo, L’encyclopédie catholique pour tous, Droguet-Ardant/Fayard, Paris 1992, p149 b. Voir aussi p614.

[2] Dieu prit une demeure définitive au ciel. Il devient l’invisible, le Très-Haut, l’Insaisissable. Ainsi peut-on déduire que plus Dieu perd en proximité, plus il gagne en grandeur.

[3] Les premiers Missionnaires en voyant la relation des autochtones à la nature, les ont hâtivement taxés d’animistes et de mânistes, ce qui est une erreur d’appréciation. Mais aujourd’hui justice est faite et ses mots sont relégués dans les oubliettes que nul, à moins d’une grande ignorance, ne les utilise plus. C’est la Religion Traditionnelle Africaine qui est reconnue de nos jours.

[4] « Même dans [les mythes], la présence de Dieu et sa sollicitude pour l’homme pourraient être signifiées par le messager ‘Aklama’. Quoiqu’il en soit, Dieu est présent à la création d’une présence réelle et agissante et c’est à tort que le système religieux Ewé l’oublie » (Jacques AMOUZOU, Les mythes de la création chez les Ewé de Kpélé à la lumière de Genèse I et II, Mémoire de fin de cycle sous la direction du Père Frédéric BANG’NA, Lomé, mars 2003).



06/06/2011
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